Dernier jour du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Repas robo-ratif à Harbin (哈尔滨).
Paul
Valery disait « Le problème avec notre époque, c’est que l’avenir n’est
plus ce qu’il était ». Aujourd’hui, on ne parle même plus de futur, c’est
le présent qui se détraque !
La fin du
monde est imminente ! Le monde marche sur la tête, la pandémie de la
bêtise prend des proportions ahurissantes, les abrutis sont de plus en plus
lourdement armés, la moitié riche de l’humanité bombarde la moitié pauvre, en
se plaignant que c’est l’autre qui a commencé ! On découvre que la seule
chose qui empêche les industriels de la malbouffe de nous servir des lasagnes à
la chair humaine est qu’elle est trop chère. Les consommateurs se ruinent dans la
poursuite de veaux d’or sans cesse plus ergonomiques et plus interactifs,
tandis que les capitalistes devenus fous vendent aux Chinois la corde pour les
pendre ! Guerres, épidémies, famines, catastrophes naturelles ! Le
Pape rend son tablier ! Les astéroïdes, autrefois sagement alignées dans
le cosmos, nous tombent sur la tête ! Nostradamus avait
raison ! Les témoins de Jéhovah se frottent les mains :
convertissez-vous d’urgence, ou brûlez en enfer pour toujours !
On a bien raison de le dire, « le futur n’est plus ce qu’il
était ». Alors que pourtant, il n’y a pas si longtemps, les plus âgés
d’entre vous s’en rappellent, on se représentait l’an 2000 comme un paradis
futuriste : partout des robots serviables, des voitures volantes, les villes à
la campagne, des martiens gentils etc.
Pour
retrouver un futur aimable & optimiste, le seul endroit désormais, c’est la
Chine. Ici on croit encore au progrès, et croyez-moi, on l’expérimente sous
toutes ses formes ! Matez-moi ces photos ! Nous voici au
robot-restau, un endroit où ce sont les robots qui servent les humains et non
le contraire !
Admirez
la charmante obsolescence de ces androïdes : on leur donnerait un logiciel
sans confession. Rondouillards, lents, hésitants, inoffensifs. Ce sont des
robots des années 70, rien à voir avec les dangereux manipulateurs pervers
d’aujourd’hui.
Pour la
petite histoire, figurez-vous que ces robots étaient à l’origine employés à
assembler des voitures dans une usine de la province du Gao Xing. Hélas,
les robots eux-mêmes ne sont pas à l’abri du modernisme économique ni de la
mondialisation. Ces malheureux automates, qui n’ont pourtant jamais fait grève
ni eu une minute de retard, sont victimes en 2011 d’une brutale restructuration
de leur entreprise, suivie d’un plan social absolument drastique. Ces robots,
hier attelés avec enthousiasme à la production, encore pleins d’énergie
cybernétique et emplis de cet infatigable enthousiasme mécanique, étaient
devenus obsolètes. Trop lents, pas assez précis, plus aux normes ! A la
benne, les ferrailles ! Place aux cyborgs japonais connectés au cloud !
Heureusement,
un entrepreneur de Harbin a eu pitié de ces vieilles mécaniques. Il s’est mis
en tête de lancer pour eux un ambitieux programme de réhabilitation sociale.
Une belle histoire que je m’empresse de vous raconter, photos à l’appui. Trop
vieux pour assembler des bolides, ces charmants tas de ferraille pouvaient
encore se reconvertir à la cuisine ! L’entrepreneur Zhaolin n’a fait ni
une ni deux et s’est mis à leur enseigner des recettes chinoises classiques.
Les plus mobiles sont affectés au service, tandis que les plus impressionnants
sont à l’accueil et accompagnent d’une voix caverneuse le visiteur un peu
intimidé : « Par ici s’il vous plaît ! ».
Alors la
cyber-bouffe, allez-vous me dire : c’est bon ? J’avoue qu’on est loin
des étoiles Michelin, et je ne pense pas que Gilles Pudlowski fera le
déplacement prochainement. Mais c’est tout à fait correct, et la vue dégagée
que l’on a sur les cuisines trahit une propreté supérieure à la moyenne.
Et le
cyber-service, alors ? Chose curieuse, si ce sont les robots qui
véhiculent, d’un pas hésitant, les plats vers les tables, ils sont pourtant
solidement encadrés de personnes en chair & en os ! A moins qu’il ne s’agisse
de robots humanoïdes de la dernière génération ? Il en faut un pour mettre
en route le robot vers la table en question ; il en faut un autre pour
saisir le plat arrivé devant votre table et le poser devant vous.
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