mercredi 26 juin 2019

Le sanglot de l'homme jaune




Des amis chinois m’ont signalé deux articles récents plutôt surprenants et à ce titre intéressants. Le premier a pour particularité d’être signé par un auteur chinois, alors qu’on était habitués à ne voir publiés sur la Chine que les avis d’experts occidentaux. Professeure associée à l’Université du Michigan, Ang Yuenyuen décrit Le vrai modèle chinois bien différent, évidemment, du brutal socialo-capitalisme qu’on décrit par chez nous (même si, par certains aspects, le capitalisme « à visage chinois » est bel et bien brutal). Surtout elle explique pourquoi ce modèle est bien plus attractif pour les pays en développement que celui du « Consensus de Washington » prôné par le FMI et la Banque mondiale. 

Résultat de recherche d'images pour "Ang Yuenyuen"  Protectionnisme raisonnable au lieu d’ouverture indiscriminée de tous les marchés, investissement de l’Etat dans les infrastructures et non privatisation généralisée des actifs nationaux, mesures prudentes et progressives au lieu de la « thérapie de choc », approche adaptée aux conditions et traditions existantes plutôt qu’application en bloc d’une recette universelle : les différences entre la recette FMI et celle de Pékin sont connues. 
On connaît également la différence de résultat des deux approches : alors que la thérapie de choc washingtonienne se solde immanquablement par des tensions sociales, des faillites en série et finalement des crises financières systémiques, sans compter la plongée dans la pauvreté à durée indéterminée d’une large portion de la population, les pays adoptant (en totalité ou en partie) le modèle chinois surprennent le monde par leur décollage économique : le Vietnam, en particulier, mais aussi les « tigres » asiatiques qui, plus petits que la Chine, ont commencé avant elle à récolter les fruits de la croissance. 


Résultat de recherche d'images pour "Andre Vltchek"Le second article est signé par un certain Andre Vltchek, un journaliste-philosophe-metteur en scène qui surprend par la diversité des sujets qu’il traite et la profondeur de ses vues sur des pays et des situations aussi variées que le Rwanda, la Palestine, la Russie et la Chine. Son très long article s’intitule « Pourquoi l’Occident déteste la Chine » et plonge aux racines d’un racisme occidental très ancien qui évolue avec les époques sans perdre de sa virulence. Si les Occidentaux ont longtemps hésité à considérer les Chinois comme des êtres humains, notamment pendant la période des guerres de l’opium et jusqu’à la Seconde guerre mondiale, ils n’ont pas renoncé depuis à haïr et à combattre leur pays, depuis le « péril jaune » décrété dans les années 1950 jusqu’aux soulèvements de Tiananmen en 1989 et le « mouvement des parapluies » de 2014 à Hong Kong.




À ces étudiants qui demandent « que devons-nous faire pour que l’Occident cesse de nous détester ? » répondons simplement : « Rien du tout. L’Occident vous déteste parce que vous êtes vous-mêmes, parce que vous ne suivez pas ses préceptes et ne vous soumettez pas à son idéologie.  Il vous accuse d’ingérence, d’impérialisme, bref de tout ce dont il se rend lui-même coupable envers vous. » Ou comme Andre : « S’il vous déteste, c’est que vous êtes sur la bonne voie ».

Résultat de recherche d'images pour "le sanglot de l'homme blanc"A la jonction des deux, il y a un diagnostic de l’Occident qui se dessine : avec le retour à la multipolarité, avec l’accès des puissances émergentes à une vraie souveraineté, l’Occident connaît l’angoisse de perdre le contrôle et surtout la peur de finir par être à son tour dominé. Et aussi brutalement qu’il l’avait fait jusque là. C'est une réponse à Pascal Bruckner, en un sens : le colonialisme était bienveillant, selon toi ? On verra si tu penses toujours ça lorsque les rôles seront inversés
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dimanche 4 mars 2018

Sale temps sur la Chine



C’est rare, mais ça arrive ! La Chine aussi produit parfois des mauvaises nouvelles. 

Cette fois ce n’est pas la pollution pékinoise ni un tremblement de terre au Sichuan, ce n’est pas une énième épizootie qui risque d’éventuellement déborder sur l’homme avant de muter peut-être, ce qui potentiellement pourrait s’avérer mortel... (SRAS, H1N1, grippe porcine...)
Non, ce qui fait les gros titres gourmands de la presse mondiale, c’est la réforme constitutionnelle annoncée (elle n’est pas encore passée, mais bon en Chine, lorsque c’est annoncé, c’est pratiquement acquis) qui supprime entre autres la limite des deux mandats pour le président chinois (et promeut « la pensée de Xi » au rang de celle de Deng Xiaoping, alors que bon, sans vouloir être désobligeant... le mec est sûrement assez habile et bon gestionnaire, mais enfin ce n’est pas un intello – ceux qui en doutent, lisez son bouquin, "La gouvernance de la Chine").

Si cette réforme est adoptée (encore une fois, ça semble presque sûr), c’est la fin du miracle chinois. Elle donne raison à tous les propagandistes occidentaux qui dénoncent depuis des années sans preuve le « culte de la personnalité » de M. Xi, la « dérive autoritaire » du parti communiste, etc. Pour la première fois depuis trente ans, la Chine donnerait raison à ces oiseaux de mauvais augure qui se sont relayés infatigablement pour annoncer la fin du miracle, le début du cauchemar, l'effondrement social, la crise de la dette, le collapsus industriel, la surchauffe économique, l'explosion de telle bulle ou de telle autre, etc etc etc. 

La Chine est à ce jour le seul pays communiste ayant résolu la question du renouvellement pacifique des dirigeants : deux mandats maximum, limite d’âge à 67 ans pour le premier mandat, etc. Cuba a les frères Castro, la Corée du Nord s’est transformée en monarchie héréditaire, c'était pareil dans les pays d’Europe de l’Est socialiste, en Union soviétique... La Russie, qui n’est plus communiste, a toujours ce problème du chef qui ne veut plus partir. Dans tous ces pays on a vu à l’occasion de bons dirigeants, des incorruptibles, des décidés, des compétents... Mais ils ne savent plus s’arrêter, leur entourage les pousse à rester, ils se croient indispensables, et finalement, pendant dix ans on a aux manettes un pépé mourant frappé d’Alzheimer, le pays dérive, stagne, se traîne, jusqu’à ce qu’une révolution de palais mette enfin en selle un dirigeant neuf. 

« Xi se poutinise » dénonce en chœur la presse mondiale. « C'aurait pu être pire : il aurait pu se trumpiser ! » a-t-on envie de répondre... Avec Poutine, la Russie s’accroche à son premier dirigeant compétent depuis Pierre 1er. Charisme, compétence, volonté de grandeur du pays et vision stratégique, on comprend qu'ils ne veuillent pas le lâcher, c'est trop rare ! OK, c'est vrai, dix-huit ans, c’est trop, vingt-quatre, c’est inqualifiable, mais bon : comme l’élection russe est sur le point de le prouver, il n’y a personne d’autre en Russie pour prendre sa place ! Et puis il aborde très certainement son dernier mandat. Enfin, il a sorti son pays d’une des pires crises de son histoire, une histoire où la question du renouvellement pacifique du pouvoir exécutif n’a jamais été résolue : ni par les tsars qui moururent presque tous de mort violente, ni par le parti communiste où pratiquement tous les secrétaires généraux se maintenaient jusqu’à leur dernier souffle. Si Poutine partait en 2024, à 71 ans, en bonne santé, il aurait déjà fait faire un sacré progrès à la Russie (qui devra tout de même trouver un moyen de se renouveler). 

Tout le contraire pour Xi, qui n’a, lui, aucune excuse ! La Chine est passée par la dictature unipersonnelle et le culte de la personnalité de Mao. C’est justement pour éviter la répétition de ce genre de catastrophe que le sage Deng Xiaoping a donné l'exemple en démissionnant de tous ses postes bien avant que sa santé ne se dégrade, puis gravé dans le marbre de la constitution cette limite d’âge du président/secrétaire général et le maximum de deux mandats. Il y a dans le monde bien des systèmes politiques, chacun avec ses mérites et ses problèmes, mais sous toutes les latitudes, la pire des calamités, ce sont les dirigeants à vie, ceux qui s’accrochent à leur fauteuil et, comme le trou du cul de l’histoire, bloquent tout jusqu’à ce que ça explose.

La Chine renouant avec ses démons anciens, ça serait réellement dommage et inquiétant. Tout ça pour permettre à Xi un troisième mandat à l’âge de 69 ans ? Sérieux ?

jeudi 19 octobre 2017

L'Etat athée, garant de la laïcité



« Pour ceux qui croient, aucune preuve n’est nécessaire. Pour ceux qui ne croient pas, aucune preuve n’est possible » disait l’économiste américain Stuart. Considérez le sujet de la pratique religieuse en Chine. La presse occidentale en est convaincue, la Chine est l’un des pays les plus intolérants en matière religieuse et un des plus répressifs en matière de liberté de conscience. Chercher des preuves ? À quoi bon ! 



On lira ainsi avec une curiosité d’entomologiste cet article de Claire Lesegretain, dans La Croix, qui cite des passages d’un rapport chinois sur la liberté de culte pour laisser ses lecteurs imaginer une réalité effrayante. Il faut savoir que « la Chine affirme », dans le jargon journalistique occidental, signifie « la Chine ment en affirmant que ». La presse libre part du principe que l’information en Chine se compose à 100 % d’une propagande éhontée, et qu’il suffit par conséquent d’inverser le sens de toute déclaration officielle pour obtenir une vérité garantie 100 % exacte. Le lecteur a si bien intégré cette règle de « l’information-miroir » que l’auteure ne ressent même pas le besoin d’apporter la moindre information complémentaire à son recueil de citations. L’efficacité du procédé est surprenante : tout en lisant « le respect et la protection de la liberté de croyance religieuse est une politique fondamentale nationale à long terme du gouvernement chinois », on se prend à frissonner en imaginant émeutes, insurrection religieuse et répression féroce.



Mêmes sous-entendus effrayants dans cet article de La Vie qui titre L’année noire de la persécution religieuse ? Le magazine récapitule les griefs, pourtant véniels à bien y regarder, formulés par des témoins bien entendu anonymes. « Destructions de lieux de culte illégaux », « ingérence de l’État dans les affaires internes des communautés religieuses », « pressions », les exemples vagues que l’on rencontre ça et là dans l’article ne justifient pas vraiment le terme sensationnaliste de « persécution. »

La politique religieuse de la Chine découle en réalité d’un principe limpide : la religion est une affaire de croyance personnelle qui ne doit pas se transformer en mouvement politique, en revendication identitaire ou territoriale. C’est de cette laïcité pragmatique que découlent les interventions de l’État qui ferme des églises clandestines, lutte contre le terrorisme à prétexte religieux ou démantèle des trafics illégaux sous couvert de religion. En revanche, et c’est facile de le constater, les croyants sont libres de pratiquer pacifiquement leur religion. Autour des mosquées, des églises, des temples bouddhistes, ils sont des dizaines se masser, les jours de culte, des centaines les jours de fête religieuse. Le commerce religieux est lui aussi autorisé, en témoignent les innombrables boutiques ethniques qui proposent des objets de culte propres à telle ou telle croyance. Encens, images pieuses, vêtements traditionnels, cierges, amulettes et statues à l’image de la Vierge ou de Vishnu sont ainsi diffusés à des millions d’exemplaires dans tout le pays, alimentant un commerce que l’on imagine florissant. Un peu partout, des marchés et des restaurants proposent des mets adaptés aux exigences religieuses des croyants.  



L’État chinois est athée, et ce n’est pas la moindre de ses qualités. Cet athéisme garantit à tous, selon des critères impartiaux, le droit de croire et de pratiquer sa religion. Mieux : la Constitution chinoise est la seule au monde à garantir également à ses citoyens le droit de ne pas croire : jusqu’à l’âge de 18 ans, les Chinois sont protégés de toute propagande religieuse extra-familiale. Les enfants chinois échappent ainsi au prosélytisme agressif des religions majoritaires que l’on observe dans la plupart des pays démocratiques. De quelle liberté religieuse se prévalent le prêtre qui baptise ou le rabbin qui circoncit le nouveau-né inconscient des engagements qu’on prend à sa place ? De quel droit l’Église mormone baptise-t-elle en masse des citoyens de tous les pays et de toutes religions pour les porter contre leur gré dans ses registres ?



Même dans les pays comme les États-Unis ou la France où la séparation de l’Église et de l’État est gravée dans le marbre de la Constitution, la majorité démocratique tend à exercer un favoritisme religieux et une discrimination de fait qui attisent les rancœurs. On se rappelle la controverse qui secoua ce pays où les élus jurent sur la Bible, lorsqu’un musulman demanda à jurer sur le Coran. On voit, dans cet autre pays à la laïcité sourcilleuse, la police vestimentaire verbaliser d’inoffensives porteuses de voile. Sans compter mille vexations quotidiennes qui se produisent loin des micros et des caméras.



Laïcité hypocrite où l’État, soi-disant séparé de la religion, sensément respectueux de la diversité religieuse de ses citoyens, continue de favoriser les uns au nom de la coutume et de discriminer les autres au nom de l’ « intégration ». En France, une laïcité mesquine veut garantir à tous le droit imprescriptible de caricaturer le prophète, alors qu’elle punit sévèrement la moindre allusion susceptible d’être interprétée comme antisémite.



Bien des pays gagneraient à s’inspirer de la laïcité tranquille qui règne en Chine.


lundi 27 mars 2017

Corruption: cachez ce sein que je ne saurais voir...



Alors que l’on approche de la fin du premier mandat du président Xi, la presse internationale se penche sur les résultats de l’opération « mains propres » annoncée dès 2012 et qui a ponctué l’actualité de ces cinq dernières années. On pourrait imaginer qu’après avoir beaucoup dénoncé la « corruption endémique » qui règnerait en Chine, la presse démocratique allait louer l’effort de transparence et de discipline entrepris depuis. Ce serait compter sans le catastrophisme maladif de notre presse au sujet de ce pays. Hebdos et quotidiens se livrent à une véritable surenchère de titres racoleurs, depuis Le jeu dangereux de Xi Jinping annoncé par Atlantico jusqu’aux Effets pervers de la lutte anticorruption en Chine du Figaro, qui dans un autre article parle de « croisade » anticorruption, tandis que 20 Minutes va jusqu’à décrire « l’inquisition de Beijing » qui frapperait les malheureux fonctionnaires chinois ! 



Les journaux de l’Hexagone s’inquiètent surtout pour l’industrie française du luxe qui serait, à en croire Le Monde et Le Parisien, la principale victime de cette campagne de nettoyage des écuries d’Augias : La lutte contre la corruption affecte les résultats des marques de luxe, affirme le premier, tandis que le second renchérit presque mot pour mot : En Chine, la lutte anticorruption pénalise le marché du luxe. Dame ! Les petits cadeaux, les montres de luxe, les sacs hors de prix qui servaient à entretenir l’amitié des fonctionnaires ne trouveraient plus preneur depuis que ces pratiques sont mieux encadrées par la loi. Histoire de ne pas louer exagérément l’efficacité des mesures prises, Libération s’autorise un jeu de mots en titrant Contre la corruption, la Chine prend des mesures de surface. À la lecture de l’article on comprend qu’il s’agit des mesures anticorruption concernant les surfaces et l’aménagement des bureaux des fonctionnaires, lesquels sont invités à la modestie dans l’organisation de leur cadre de travail.


Alors finalement, efficace ou pas, cette opération « transparence et parcimonie » ?

La majorité des gazettes s’obstine à y voir, comme Atlantico, « des objectifs moins vertueux », une façon déguisée de se débarrasser des « réformateurs » plutôt que des indélicats. 

Systématiquement, dans la presse occidentale, on estampille « réformateurs » ceux qui sont écartés du pouvoir, façon d’affirmer sans trop se mouiller que le PCC fait plus la chasse à la démocratie qu’à l’argent sale. C’est ainsi qu’on préférera, comme The Economist, le terme de « purge » à celui de lutte anticorruption, ou qu’on affirmera tout de go comme Le Figaro que La lutte anticorruption tourne à la purge politique. Un terme qui fait évidemment référence, on n’est pas à une outrance historique près, à la période des procès politiques staliniens qui ont envoyé à la mort des milliers d’opposants. Un parallèle que l’hebdomadaire britannique revendique sans complexe : « un peu comme à Moscou à l’hiver 1936, on ne sait pas trop qui sera la prochaine victime » écrit l’auteur, qui poursuit « la question étant de savoir si l’on assiste à une réelle volonté de nettoyage ou à des vendettas politiques. »



« Derrière cette volonté affichée » de transparence se cacherait donc « un certain nombre de règlements de comptes » au plus haut niveau, insinue à son tour Le Monde, citant l’ONG Transparency international qui a rétrogradé, sur des critères peu transparents, la Chine à la 100e place sur 175 en termes de pureté des pratiques officielles. Une campagne d’esbroufe politique donc ?


C’est en tout cas l’idée que s’en fait Le Figaro, qui affirme que « le président Xi peine à en récolter les fruits » auprès du public qui reste, de l’avis général de la presse occidentale, dubitatif. Quelques sources un peu moins orientées rappellent tout de même, comme RFI, que cette lutte contre la corruption ne tombe pas du ciel mais correspond à un souhait majeur de la population exaspérée, et des lecteurs font remarquer sur les forums de commentaires que ces mesures frappent non seulement « les tigres » mais aussi « les mouches », ce qui en bonne logique n’a rien à voir avec les combats politiques au sommet de l’État.



Plusieurs journaux reprennent les chiffres de Wikipédia indiquant qu’en 2016, plus de 100 000 dossiers de corruption ont été traités, dont au moins 120 concernant des hauts fonctionnaires. Ces nombres sont-ils l’indice d’une réelle volonté de nettoyage ou au contraire d’une corruption généralisée ? Une chose est sûre, le chemin reste long.


Pourquoi, se demande-t-on, la Chine ne procède-t-elle pas comme on le fait chez nous ? La solution au problème de la corruption, c’est tout simplement de ne plus employer ce terme grossier. Lorsqu’il s’agit des agissements de nos MM. Cahuzac, Dassault et autres Balkany, on lui préfère celui, beaucoup plus distingué, de « conflit d’intérêt. » Qu’un François Fillon soit soupçonné d’avoir détourné l’argent public et on se contentera d’envisager, avec tous les conditionnels d’usage, des « emplois fictifs », c’est tout de suite plus classe. Finie la corruption !


Fi ! Ce terme blesserait les oreilles de nos vertueux politiciens occidentaux.