Villes fantômes ou
villes de demain ? Villes d’aujourd’hui. Ou plutôt déjà d’hier : en Chine, dans
l’urgence du développement économique, on passe vite d’une solution à la
suivante. Construire des villes à la campagne, c’est déjà dépassé. Les villes
préfabriquées ne sont pas encore en service qu’on étudie déjà la solution
suivante.
Les urbanistes chinois disent : construire une ville d’un million
d’habitants, c’est possible, la preuve. Mais c’est cher et compliqué. Il faut
dix ans de travaux, de gadoue, de transports en commun et autres
infrastructures qui ne marchent pas, etc. Dix ans pendant lesquels on a, au
choix, une ville bordélique ou une ville fantôme. Soit un chantier invivable où
les gens doivent habiter alors que rien n’est prêt, soit des quartiers, des
avenues, des centraux téléphoniques et des systèmes d’épuration des eaux usées
qui sont là, prêts à fonctionner, mais attendent des années leur mise en
service. Les Chinois ont fait le choix des villes-fantômes : c’est clair, il
est plus facile d’attirer les futurs habitants dans un cadre de vie à peu près
au point que dans un chantier. Mais les coûts sont énormes. Gel, pluie,
entretien réduit : malgré les précautions, malgré les personnels déjà mis en
place, ça se dégrade et ça vieillit avant d’avoir servi ; la ville n’est pas
encore en service qu’il faut déjà changer certains équipements. La ville n’est
pas encore en service que déjà la presse libre vient faire des photos et
tourner des documentaires sur la Chine des projets pharaoniques qui ne valent
pas un clou. Le fait est que ça prend trop longtemps : dix ans pour héberger un
million de personnes, alors que ce sont vingt ou trente millions par an qu’il
faudrait !
D’où la nouvelle
piste matérialisée par la tour de Shangsha (encore une fois les esprits chagrins y voient le
présage de la fin du miracle
chinois. Et c’est moi qu’on
accuse de pessimisme ?). Il y a bien sûr la fierté de dépasser (de dix petits
mètres seulement) la tour la plus haute du monde ; mais c’est aussi une somme
d’idées assez innovantes comme on n’en n’a plus chez nous. Par exemple, l’idée
de ses promoteurs qui consiste à préfabriquer tous les éléments de la tour à
l’avance, pour les assembler, en neuf mois seulement, sur place. Après bien des
atermoiements, il semble que le top du départ est donné : inauguration en
avril 2014.
Pourquoi
préfabriquer ? C’est la volonté de minimiser les nuisances d’un chantier
monstrueux : cinq ans pour le Burj Khalifat à Dubai, neuf mois pour Changsha. Chaque
mois gagné est précieux. Une tour d’un kilomètre de haut, c’est une ville de
cent mille habitants : des bureaux, des hôtels, des habitations, des commerces,
des cinémas, empilés. Pas de bouchons, pas de pollution : des ascenseurs
(c’est-à-dire des métros, verticaux). Des économies de chauffage (les étages
empilés se chauffent les uns les autres), mais des contraintes nouvelles aussi
: une grande partie de ces locaux ne voient jamais la lumière du jour. Cent
mille habitants, ce sont vingt ou trente mille wc, vingt mille appartements qui
produisent des ordures ménagères, des dizaines de milliers de voitures qui
veulent se garer à proximité, etc. Quid de la sécurité ? Police, pompiers,
ambulanciers seront confrontés à des problèmes inédits. Quid de la santé ? Est-ce vivable de passer l’année complète dans une sorte de super-mall
climatisé sans peut-être mettre un pied dehors ? Verra-t-on se développer des
super-épidémies ? Des super-psychoses ? Des super-cafards mutants à la morsure
mortelle viendront-ils se nicher dans les conduites d’aération et finiront-ils
par déloger les humains ? C’est Shangsha et sa Sky city qui nous fourniront la
réponse. Pour l’instant les chiffres les plus démentiels et les suppositions
les plus délirantes enflamment le Ouèbe. Shangsha est une expérience en vraie
grandeur pour savoir si et comment ça marche. Ensuite, ce sont des milliers de
Sky city qui vont pousser comme des champignons, c’est moi qui vous le prédis.
Mettez dix tours
comme ça en cercle, mettez à côté un aéroport et au milieu une gare, remplissez
le reste de vastes parcs paysagés : voilà une ville d’un million d’habitants,
un village planétaire, en fait. C’est compact, on économise l’énergie, on
préserve les écosystèmes (la ville verticale occupe cent fois moins de surface
au sol). Et on loge et met au travail un million de personnes.
C’est ça ou les
bidonvilles de Mumbai.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire