Vous avez peut-être lu la chronique du Financial Times traduite par GillesBerton pour le Monde. Moi, elle m’a fait bondir. Mais mon article-réponse que je
vous propose ci-dessous a évidemment été refusé. L’auteur (britannique donc ?)
se risque à une analogie très hasardeuse entre la puissance économique montante
de la Chine et l’Allemagne impériale du début du siècle dernier. Commémoration
oblige, il finit par suggérer que l’inflexibilité de la Chine dans l’affaire
mineure des îles Diaoyu/Senkaku risque de jouer le rôle de l’attentat de
Sarajevo : la péripétie théoriquement sans importance qui précipite le monde dans la guerre mondiale !
Cette mauvaise analogie m’en inspire une autre plus judicieuse.
La solidarité occidentale dans la question des îles Diaoyu/Senkaku rappelle celle qui existait voici cent ans entre les puissances
européennes, les Etats-Unis, la Russie et le Japon. En dépit de leurs disputes
perpétuelles et de leurs conflits armés sporadiques, ces pays s’entendaient pour
asservir et dépecer la Chine. Faisant fi du droit international, ce G8 avant
l’heure faisait signer aux empereurs Qing des traités iniques qui bafouaient la
souveraineté nationale : concessions extraterritoriales, patrouilles
navales sur le Yang Tsé, trafic d’opium, réquisitions de main-d’œuvre, on
parlait moins des droits de l’homme en Chine à une époque où ce sont les
Européens qui les violaient. Les révoltes qui éclataient dans la population
exploitée par les occupants étrangers étaient réprimées dans le sang.
L’article attribue je crois un peu légèrement la faute de la guerre de 14 au Kaiser, qui n'est pas plus coupable que les autres dirigeants européens du démarrage des hostilités. En revanche, dans son discours du 2 juillet
1900 aux troupes qu’il envoyait en expédition punitive en Chine : « Je
vous envoie donc aujourd’hui pour venger une injustice, et je n’aurai pas de
repos tant que le drapeau allemand ne flottera, aux côtés de ceux des autres
puissances, victorieusement au-dessus des Chinois, planté dans les murs de
Pékin, et dictant la paix aux Chinois. Préservez des relations de camaraderie
avec toutes les armées que vous rencontrerez là-bas. Russes, Anglais, Français
et autres, tous luttent pour une cause commune, celle de la civilisation. »
Devant un autre détachement, il va jusqu’à déclarer « Pas de pardon. Pas
de prisonniers. Maniez vos armes de façon à ce que dans les mille ans à venir
pas un Chinois n’ose seulement lever
la main sur un Allemand ».
On aurait tort de croire que ces exactions étaient rares ou seulement
allemandes. La même année, les Anglais et les Français dévastaient et saccageaient
pour la seconde fois le Palais d’Eté. Victor Hugo s’en est ému dans une lettre fameuse
qui est aujourd’hui traduite et exposée, avec un buste du poète, au milieu des
ruines augustes de ce qui fut « une des merveilles du monde ».
Dans le Monde, le Financial Times et bien d’autres organes de la presse
libre, les éditos unanimes disent « La Chine doit céder. Il est dans son
intérêt de céder. Elle va céder, comme elle l’a toujours fait. » Et de
détailler les mesures de rétorsion, économiques, voire militaires, que
l’Occident est prêt à prendre pour rendre les îles à son allié japonais. Pas un
mot sur le droit international, sur les arguments, très convaincants mais très
complexes, des deux parties. Pas un mot non plus pour éclairer la position
chinoise, par définition considérée comme excessive et illégitime. Pas une
ligne, enfin, pour ménager la sensibilité historique bien compréhensible de la
Chine.
OU EST L’URGENCE ?
Le problème, ce n’est pas le sort de ces îlots, inoccupés et insignifiants.
Tout le monde s’est volontiers passé d’eux jusqu’à aujourd’hui. Le problème
n’est pas l’attitude chinoise, qui ne fait que prendre les mesures que prend tout
pays envers les territoires qu’il estime relever de sa souveraineté. Le
problème est dans l’attitude occidentale qui se conforme à la loi non écrite
qui stipule « quel que soit le problème, c’est la Chine qui est en
tort ».
La presse libre, toujours là pour se gausser de la presse « de
propagande » de la Chine, prête le flanc à la même critique. Depuis le
début de l’affaire Diaoyu/Senkaku, jamais une médiation de l’ONU, une
négociation, un arbitrage, un partage, une souveraineté multinationale, ne sont
envisagés, comme cela se fait dans mille autres conflits territoriaux de par le
monde. Il est acquis dès l’abord que la Chine a tort, et la question n’est que
celle des moyens de lui faire rendre gorge. Vraiment, on se croirait revenu au
début du vingtième siècle, à l’époque où l’occident se permettait tout en
Afrique, en Chine, en Asie, et se livrait sans complexe à la guerre sauvage et
sans scrupule que la civilisation, dans une curieuse inversion des rôles, croyait
devoir livrer à la barbarie.
L’argument de la supériorité civilisationnelle a vécu. Au vu de leur
histoire ancienne et récente, ni l’Europe, ni le Japon, ni les USA, ne sont en
position de donner des leçons de morale à la Chine. Et, fait nouveau mais
important, la Chine n’est plus contrainte de les accepter. Elle a désormais les
moyens de faire respecter sa souveraineté. Fini le droit de la canonnière,
place au droit international.
Au sujet des Diaoyu/Senkaku, Deng Xiaoping disait « Cela n’importe pas
si cette question est remise à plus tard. Notre génération n’est pas assez sage
pour trouver un terrain d’entente sur cette question. La génération suivante
sera sûrement plus sage. Elle trouvera sans doute une solution acceptable pour
tous. » Sages paroles ! Apparemment il est encore trop tôt. Où est
l’urgence ? Laissez les juristes plancher et négocier pendant cent ans
encore.
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