Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Là on est à Pékin (北京) et ça pétarade de tous les côtés.
Le nouvel An chinois, j’y ai eu droit, en bonne et due
forme. De plein fouet, pourrait-on dire. Je me targue donc désormais d'être un
spécialiste du nouvel An chinois (nouvel An lunaire, en fait, si l'on
veut ménager les susceptibilités de tous ces autres Asiatiques qui le célèbrent
et s'offusquent parfois de la promiscuité de torchons & de serviettes que suggère
l'appellation mondialement répandue).
Nous célébrons en cette nouvelle année lunaire l'année du
Cheval de Bois, selon l'horoscope chinois.
Vous êtes-vous demandé un jour pourquoi le monde entier
pétarade à nouvel an ? Je vous le donne en mille : tout remonte comme toujours
à une tradition chinoise. Selon la légende, les villageois d'autrefois étaient
régulièrement victimes du passage dévastateur de Nian, le monstre au corps de
cheval et à la tête de lion (on parle aussi parfois d'une sorte de licorne
apocalyptique – le fait est que, personne n'osant lui faire face, il n'existe
aucun portrait exact du bestiau). Quoi qu'il en soit, Nian avait pour coutume
d'arriver comme une tornade et de tout dévaster sur son passage, sans oublier
bien entendu de faire une bombance aussi copieuse que possible de vieillards et
de petits enfants. Au fil des ans on commença à mieux comprendre sa
psychologie, et donc à prédire plus précisément la date de son passage, et on
finit aussi par constater empiriquement que Nian, malgré sa force de taureau et
sa férocité de lion, redoute les bruits forts & soudains. D'où cette
stratégie de défense mise au point par les villageois pour se protéger : se
barricader bien au chaud en famille, déguster des plats traditionnels préparés
à l'avance, et surtout faire à l'extérieur un raffut maximal, d'abord en
faisant exploser des fûts de bambou, puis, depuis l'invention de la poudre, en
pétaradant un max.
En Chine, on aime les jeux de mots. Nian, le monstre dont
le passage est tant redouté, est l'homonyme de nian, l'année, qui elle aussi
passe. Guo nian se comprend donc des deux façons : passage du monstre Nian,
changement d'année.
Pour marquer le passage de l'an et pour appeler de ses
vœux une nouvelle année meilleure que celle qui vient de s'écouler, on a mis au
point des petites astuces. Prenez par exemple le caractère 'fu' (福, abondance). 'Fu' penché (ou alors carrément mis à
l'envers) se dit 'fu dao le', 福倒了, ce qui se
comprend aussi comme (jeu de mots) 'l'abondance
est arrivée' 福到了. Deux
petits traits font toute la différence. Phonétiquement c'est kif-kif. C'est
pourquoi on voit les portes s'orner de mille variations du caractère fu penché
ou retourné.
A Chun Jie, les Chinois ne sont plus des Chinois.
Employés ou fournisseurs, tous haussent les épaules avec bonhomie à chacune de vos
demandes et sourient à chaque fois que vous les houspillez : «Chun Jie»
(traduction : Fête de printemps, rien n'est possible, personne ne travaille).
En cette curieuse Saturnale globalisée,
les esclaves de l'industrie mondiale prennent soudain la place et les attitudes
de leurs maîtres, la Chine n'est plus la Chine, les Chinois se muent en
Français, décrètent la grève générale ! Se croisent les bras en attendant que
la félicité leur tombe directement dans le bec ! Refusent de lever le petit
doigt !
Surtout, les gens qui travaillent loin de leur ville
natale veulent absolument rentrer dans leurs pénates pour passer nouvel an en
famille. C’est donc la grande période de départs en vacances, celle où dragon
futé s’arrache les cheveux et où la presse mondiale vous montre des foules
compactes sur les quais de gare, des gens qui dorment affalés sur des ballots,
attendant un train qui ne vient pas, en titrant « Chine : la fin de
la croissance ».
J'avais du mal à comprendre pourquoi le nouvel An est
aussi important au cœur des Chinois ; pourquoi ceux-ci changent soudainement
leur caractère national et, d'effacés et travailleurs qu'ils sont d'habitude,
se montrent soudainement aussi acharnés dans la célébration que désinvoltes au
sujet de leurs obligations professionnelles, bruyants & fêtards, remettant
les questions les plus cruciales et les problèmes les plus urgents à «après les
fêtes». Figurez-vous que la semaine qui suit le nouvel An est une semaine de
rituels extrêmement compliqués, qui se sont codifiés et élaborés au fil des
générations jusqu'à former un ensemble parfaitement inaltérable.
Le deuxième jour de l'année chinoise est traditionnellement celui où
les femmes mariées rendent visite à leur famille avec enfants et mari, le bai
nian拜年 ou
visite annuelle (vous savez que selon la tradition la femme qui se mariait
passait corps & biens dans la famille de son cher&tendre et
n'entretenait plus avec sa famille d'origine que ces relations distendues
d'année en année). Dans certaines régions, il est d'ailleurs fortement
déconseillé de prolonger la visite jusqu'au troisième jour, tant ces visites
peuvent facilement partir, une fois les politesses d'usage effectuées, et les
rasades d'alcool réglementaires avalées, en furieuses altercations (le syndrome
bien connu des «bouches rouges» chìkǒu 赤口).Le cinquième jour est en général celui où les commerces reprennent. La nouvelle année de bizness, c'est comme une nouvelle inauguration : des pétards sont allumés autour de la porte d'entrée, les propriétaires s'enfuient se mettre à l'abri tandis que la mitraillade secoue le quartier et enveloppe d'une nappe de fumée de bon augure leur outil de travail ainsi symboliquement renouvelé.
Le septième jour est celui où tout le monde change d’âge, du moins selon la tradition. Les dates de naissance exactes étant autrefois tenues secrètes et on préférait fêter une sorte d'anniversaire collectif. Je soupçonne ces infatigables bosseurs d'avoir tout simplement considéré qu'il serait plus économique d'expédier tous les anniversaires d'un coup plutôt que de les égrener au cours de l'année.
Le huitième ou neuvième jour — selon les régions — est l’anniversaire du dieu du Ciel (天公 Tiāngōng ) assimilé à l’empereur de jade. Pour les adeptes du culte impérial (il y en a encore de nos jours), cette cérémonie se déroule chez soi ou au temple, et c'est une occasion de repétarader et de festoyer une fois de plus.
Le quinze du premier mois enfin (le 14 février, dans
notre cas présent) représente la dernière journée de la fête du printemps,
marquée par la fête des lanternes. Et par un regain de pétarades, à l'issue
duquel les pétards sont définitivement remisés jusqu'à l'année prochaine.
Ouf !
Ouf !
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