mardi 4 février 2014

L'éternelle fin des haricots



Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. 24h & 3 repas à Hailaer (海拉尔).



Dans notre exploration de la cuisine mongole en 24 heures et trois repas, pas besoin de maîtriser les caractères culinaires ni les dialectes locaux : c’est Yeyong (héros d’il y a deux notes) et son beau-frère (prof de cuisine dans un lycée) qui officient. Hélas, je ne suis pas doué pour la critique gastronomique, et j’ai parfois des doutes sur la sensibilité de mes papilles gustatives toutes racornies par les mauvais traitements que je leur fais subir. Alors, en attendant de venir me rendre visite à Hailar, contentez-vous des photos et de ces quelques explications télégraphiques.

Le maître-mot ici c’est calorifique. L’art culinaire mongol consiste à faire rentrer l’infini des calories dans le fini de votre estomac. Non seulement c’est protéique et gras, mais aussi c’est brûlant. Et (histoire d’accélérer la digestion pour tasser et faire de la place pour un peu de rab’) arrosé de baijiu (alcool de riz assez fort & parfumé). Croyez-moi, quand on sort de table, la bedaine traînant au sol, les vaisseaux sanguins dilatés, l’esprit en furie, les naseaux au vent et le sang battant aux tempes, le blizzard vous semble une brise rafraîchissante et le gel n’a plus de prise sur vous.

Dîner : en entrée il y a la soupe de millet torréfié dans du saindoux puis allongée d’un mélange de thé et de lait brûlants. Puis toutes sortes de petits plats de viande cuite ou frite, des pommes de terre, des légumes vinaigrés ou salés (hé oui, l’été est bref, on en profite pour mettre en conserve). Les plats s’enchaînent les uns aux autres, à chaque fois on déclare forfait, puis on cède devant la curiosité : il faut goûter ! Devant la gourmandise : il faut finir ! Devant la politesse : il faut en reprendre ! Devant l’alcoolémie : il faut faire passer la brûlure du baijiu ! Et revoilà la serveuse avec un autre plat fumant ! « C’est le dernier, promis ! » rigole le beau-frère. Comme toujours avec les Chinois, la fin du repas est assez brusque : elle est déclenchée par la course à la note. Une fois qu’il est sûr que tout le monde a mangé à sa faim, qu’on ne touche plus la nourriture que d’une baguette lasse, qu’on ne trempe plus ses lèvres dans le baijiu, l’un ou l’autre, hôte ou convive, se lève d’un coup et course le serveur en brandissant son portefeuille. L’autre, pris de vitesse, ne l’entend pas de cette oreille et glapit au serveur de n’en rien faire. S’ensuit une bataille parfois assez rude où tous les coups sont permis, au physique comme au moral. Les combattants enchaînent une série de prises assez vigoureuses, depuis le coup balayant qui fait choir votre portefeuille jusqu'au croche-pied, en passant par les poussages du ventre façon sumo et les feintes visant à jeter la monnaie sur le comptoir tout en empêchant l'autre d'en faire autant. Le vainqueur finit par régler l’addition tandis que le vaincu ne se résigne qu’à la promesse solennelle de pouvoir régaler la prochaine fois, sans faute.
Laowai encore peu expérimenté, j’ai parfois recours à l’astuce non homologuée et difficilement parable qui consiste à régler la note en douce à l’occasion d’une visite aux toilettes. Pas très loyal mais on a les victoires qu’on peut. Comme disait Sun Tzu « le singe vainc le lion par la ruse et non par la force ».

Petit déjeuner : avant notre petite excursion dans les plaines glaciales, Yeyong nous fait stopper dans la chaîne de restauration rapide 永和豆 (« Eternité & haricots » ou « L’Eternité avec les haricots » - ou encore, mon préféré, un peu surinterprété : "l'éternelle fin des haricots"). Rapide mais soignée : un grand bol de brouet de riz (zhou, ) fumant, des œufs durs cuits dans le thé, des baozi (que j’ai eu l’honneur de vous présenter tantôt) cuits à la vapeur, des œufs sur le plat, des petits carrés de légumes en salaison. De quoi tenir jusqu’à midi, quoi. C’est vrai, le grand air, surtout froid, ça creuse.




Midi : halte (avant d’aller prendre l’avion pour Harbin) dans un restaurant perdu dans la pampa. La salle est à peine tiède, les toilettes sont à l’extérieur. Heureusement les plats arrivent vite, fumants, énormes, le serveur et le patron se relaient pour les poser les uns après les autres sur la table pivotante, et chacun pioche avec entrain. Cette fois la découverte porte sur une soupe de tripes à la mode du Khan, ainsi que sur la queue de vache. Eh oui, quand je vous disais valoriser, ici on valorise. La queue de vache, c'est un mélange d'os, de gélatine, de cartilage, de tendons et d'un petit peu de viande qu'il faut aller chercher avec les dents, en suçotant sous toutes leurs coutures les énormes morceaux brûlants & tremblotants. 
Ça passe mieux avec une rasade de baijiu, c'est moi qui vous le dis. Justement, ça tombe bien, les toasts s’enchaînent allègrement. Quand c’est mon tour, j’improvise une chanson (que tous les enfants français apprennent à l’école primaire, précise-je), enfin un refrain, ou plutôt un slogan en l’honneur des « Filles de Hailar, les plus belles du monde » (海拉尔的姑娘世界上最漂亮). C’est une trouvaille qui pourra resservir, puisque ‘filles’ et ‘belles’ rime ! Selon le lieu où on se trouve, il n’y a plus qu’à changer le nom de la ville ! Il faudrait copyrighter ce coup-là d’urgence, sinon c’est sûr, on va me le piquer !

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