mardi 9 septembre 2014

La machine à voyager dans le temps


C’est le weekend, il fait beau : je vous invite à un voyage dans le temps. Rassurez-vous, je ne vous propose pas une expédition dangereuse dans les tranchées de la Grande Guerre, ni de retrouver les époques archaïques ou héroïques du moyen-Âge. Ni surtout d’un saut radical dans un futur éloigné et totalement imprévisible. Non, simplement, allons nous promener dans la Chine de 2030.

Vous êtes prêts ? C’est parti !

C’est drôle, au début, on ne remarque presque rien. C’est même surprenant à quel point on n’est pas surpris : la machine à voyager dans le temps aurait-elle eu des ratés ? Il y a bien, ici ou là, des petits changements imperceptibles : depuis le temps que tout le monde l’apprend dès la maternelle, les gens commencent à parler presque tous assez bien l’anglais, par exemple. On voit aussi qu’ils sont un peu mieux habillés et les jeunes filles surtout, prennent un soin sophistiqué de leur apparence (maquillage, talons hauts, chirurgie esthétique) ; tous, encore plus qu’aujourd’hui, vivent le nez et les doigts collés à leur smartphone (qui pour jouer, qui pour écrire ou lire des tweets, qui pour écouter de la musique). On ne crache presque plus dans les rues, mais on mange encore plus de goinfreries à tout moment, en mâchant bruyamment tout en parlant. Les prix ont augmenté, surtout ceux de la nourriture ; le choix de restaurants japonais et de steak houses américains s’est accru. La propreté des rues a fait quelques progrès : pas helvétique encore, disons qu’elle est à peu près au niveau de ce qu’on a en France en 2014 (ordures dans la rue mais enfermées dans des sacs-poubelles). Le wifi est partout, et les sites subversifs (leeleblog par exemple) sont accessibles sans passer par l’astuce du VPN.

Je vous l’avais dit : la Chine de 2030, c’est le dépaysement soft, cool, zen : les côtés positifs demeurent (criminalité et coût de la vie bas, économie vigoureuse), les petits inconvénients se raréfient. Il faut dire que le PIB par habitant a doublé (10 000$ en 2014, 19 400$ maintenant) alors que la population est restée stable (elle a vieilli un peu, ça se remarque à peine).  Les toilettes publiques sont toujours aussi omniprésentes. Heureusement ! Effet inattendu de mon voyage dans le temps : mes intestins se contractent et s’entortillent et m’obligent à une opération délestage d’urgence. Propreté de cuisine suédoise, portes qui ferment : je passe un sale quart d’heure dans des conditions idéales.


Bon allez, trêve de balivernes : je vous révèle mon secret. Ma machine à voyager dans le temps est un Airbus A330 de la compagnie Asiana Airlines. Je me trouve à Séoul et l’impression d’un futurisme non pas radical, mais réaliste, fait de petites touches, est saisissante. Disons que les zones de modernitude se sont peu à peu étendues tandis que reculaient à mesure les zones d’archaïsme. Les hutongs que l’on démolit encore à Pékin sont déjà reconstruits (à l’ancienne) ici. On ne voit malheureusement presque plus de vélos, mais en revanche les rues piétonnes ont gagné du terrain. La croissance économique s’est un peu calmée (4% prévus pour 2014) et permet à tous de souffler un peu dans une atmosphère moins chargée de microparticules.

Tout en visitant, je fais la liste des choses qui sont comme en Chine ou plutôt comme dans la Chine de demain. En vrac : le métro, toujours aussi moderne et propre, propose désormais un distributeur de masques à gaz pour les cas critiques. La musique pop s’améliore ! Ça ne vole pas très haut, mais tout de même, les mélodies d’ascenseur qui suintent de partout sont loin, très loin, des horribles stridulations au sentimentalisme larmoyant qu’on entend dans l’Empire du milieu. La mangeaille de rue reste très présente, tous les cent pas on voit quelqu’un en train de cuisiner de délicieuses fritures ou de découper des fruits et légumes. A peine leur équipement est-il un peu modernisé par rapport à celui des rues de Pékin.

Le thé a reculé face à l’offensive du café. On ne trouve presque pas de salons de thé, tandis que les cafés-boulangeries (souvent de style français) en revanche tiennent le haut du pavé (à Pékin je me demandais pourquoi les cafés d’inspiration française (croissants, baguettes, etc) étaient tous coréens : c’est parce que la Corée ne peut pas accueillir tous les cafés français du monde ! Ça déborde !).

Comme en Chine, la police fait son offensive de charme. Affichage publicitaire, et surtout ces figurines en plastique que l’on voit en Chine aussi : le policier et la policière, d’un rassurant embonpoint, qui vous sourient d’un air niais et inoffensif...

 

Autre truc que l’on trouve plus ici qu’en Chine : l’activisme de rue. A tout bout de champ, des panneaux exposent je ne sais quelle cause nationale, des hauts parleurs diffusent une musique adaptée, et des petits activistes se précipitent sur vous avec un bloc-notes pour recueillir votre signature. J’ai signé en faveur du souvenir de la catastrophe du ferry, contre la persécution de la secte Falun Gong en Chine, pour la sauvegarde des chiens sans collier, pour l’alphabétisation en Afrique, contre la disparition des forêts tropicales… déjà le monde va beaucoup mieux, vous ne trouvez pas ?

Un autre développement surprenant c’est le progrès proprement diabolique du christianisme ! 14 millions de chrétiens, au dernier recensement ! Des églises partout ! Des prédicateurs de rue, façon homme-sandwich spirituel, arborent des panneaux aux slogans terrifiants : « la fin du monde approche », « 666 = signe de la Bête », « repentez-vous ou brûlez pour toujours en enfer » ! Il y avait ce prédicateur multiglotte installé sous un petit auvent qui marmonnait dans toutes les langues toutes sortes de mises en garde grotesques. Au moment où je passai devant lui, brebis francophone égarée, je l’entendis « … signes annonciateurs : tremblements de terre, catastrophes naturelles, pandémies… » Ce qui est sûr, c’est que la pandémie du christianisme, qui débute à peine en Chine, fait des ravages par ici. A l’origine, au début du XXè siècle, c’était sous l’impulsion de missionnaires français ! Vers la cathédrale Myeong-dong, des panneaux célèbrent les œuvres de ces glorieux pionniers de la foi aux noms tels que Bruguière, Imbert, Ferréol, etc. Désormais 28% des Coréens se réclament du christianisme ; il y a fort à parier que ce sera pareil dans la Chine de 2030 : seulement 2% aujourd’hui mais en croissance rapide…



[1] Prévisions World Bank 2014

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