mardi 28 janvier 2014

Controverse à Shamian



Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Derniers jours à Canton (广州) avant le retour à Pékin (北京).

Figurez-vous que mes covoyageurs (que je ne vous ai pas encore présentés pour préserver le mystère de l’anonymat) adorent littéralement Guangzhou : sa végétation tropicale, ses habitants (beaucoup plus sympas, à les en croire, que les Pékinois), sa cuisine pas trop épicée, son climat paradisiaque (ça s’est un peu rafraîchi d’ailleurs), et puis aussi cette petite odeur fade des tropiques qu’on trouve à Hong Kong pareil. Là sur l’île Shamian, c’est carrément l’extase : les rues où s’alignent les palétuviers, l’architecture coloniale, les statues de bronze représentant des scènes de la vie quotidienne... 

Petit rappel historique : l’île de Shamian (沙面岛, ‘surface de sable’) sur la rivière des Perles au centre de Guangzhou, 900 mètres de long pour 300 mètres de large, principal port de Canton à l’époque coloniale, a été cédée aux Anglais et aux Français après les guerres de l’Opium en 1859. Les guerres de l’Opium, qui ne sont pas sans rappeler certaines interventions récentes de « sauvegarde de l’intérêt national » dans un pays lointain : à l’époque les Français et les Anglais se livraient en Chine à un florissant trafic de drogue, que le gouvernement chinois prétendait leur interdire. L’île fut réservée aux colons étrangers, interdite aux Chinois, enfin sauf ceux réquisitionnés sur les nombreux chantiers, qui ont couvert l’île de somptueuses résidences à l’européenne. Admirez ces belles demeures : si ça se trouve, c’est elles qui ont inspiré la mode du kitsch en Chine ?

Jugez vous-mêmes : on y trouve même la petite église de Notre Dame de Lourdes (dans le genre kitsch lourd on fait difficilement mieux) construite en 1892 et récemment restaurée. Magie du mariage des cultures : les Chinois de la paroisse se préparent à célébrer le nouvel An en confectionnant des jiaozi; par la fenêtre ils nous font signe de les rejoindre. Tout en nous enseignant le tour de main nécessaire à la formation d'un beau jiaozi, Madame Wang nous demande discrètement à quelle religion nous appartenons. « Pas catholiques? Ça ne fait rien, Jésus vous aime quand même! » conclut-elle avec philosophie.


Bon je termine rapidos sur la soirée du nouvel An chinois avant de vous laisser vaquer à vos occupations. Figurez-vous qu’une controverse m’opposait à mes accompagnateurs : j’avais la ferme intention, histoire de marquer le coup, de manger du cheval au moment de rentrer dans l’année du canasson (ben oui, depuis ma première communion, je ne vois pas de contradiction dans le fait de manger l’objet de ma vénération ; la théophagie n’est pas condamnée, voire plutôt même encouragée, par l’Eglise catholique). Eux, au contraire, redoutaient la ruade du bourrin que nous allions ainsi vexer. Leur supposition était qu’il faut justement s’abstenir en cette soirée de célébration. Renseignement pris auprès de sympathiques boutiquières, il n’y a aucune contre-indication dans la superstition chinoise. 


Ici aussi, adorer le cheval se comprend sous ses deux acceptions : on se prosterne devant lui, puis quasiment dans le prolongement du même mouvement, on mord dedans.

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