Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Là on est à Canton (广州).
Les Cantonais disent « Chez nous on
mange tout ce qui a quatre pattes, sauf les tables et les chaises, et tout ce
qui a des ailes, sauf les avions ». Ce qui rampe aussi. Et puis ce qui a
six, huit, voire mille pattes. Et ce qui nage, ce qui végète, ce qui respire,
bien sûr. Les grandes gastronomies sont nées des grandes famines, qui ont repoussé
la curiosité et l’inventivité dans leurs derniers retranchements. Quand on
parle, à l’étranger, de cuisine chinoise, il est surtout question de cuisine cantonaise : poussés à l’exode par
les bouleversements des siècles derniers, ce sont des Cantonais surtout qui
ont, dans les chinatowns du monde entier, ouvert ces restaurants qui mêlent
le sucré et le salé, l’aigre et le doux, le chaud et le froid.
Ce soir c’est la soirée serpent. L’autre
jour, sur les conseils de quelques laowais du cru, nous avons localisé la rue
Yinjiang qui borde le fleuve : le centre de l’animation nocturne et
gastronomique. Le choix est vite fait : c'est le « Poisson
bondissant joyeusement »; sur une cinquantaine de mètres, le trottoir
s’orne d’aquariums & de vivariums : reptiles, crustacés, poissons, des
crevettes géantes, des homards, des langoustes bleues d’Australie, des serpents
et des crocodiles, plus évidemment toutes sortes de poissons : mérous,
rougets, esturgeons, anguilles. Sans compter le menu fretin des oursins,
étoiles de mer, coquillages et limaces de mer. Les clients sont nombreux et
joyeux, c’est bon signe.
La procédure est simple : l’hôtesse vous
guide vers une table, vous remet un calepin portant le numéro de votre table,
et puis vous n’avez plus qu’à vous promener entre les étals pour désigner vos
invités du jour et à quelle sauce vous souhaitez les voir accommodés. La
variété de serpents est limitée : pas de boas ni de cobras, juste des
espèces de grosses couleuvres à l’air inoffensif. J’appelle le charmeur pour
qu’il vienne me peser un spécimen de taille moyenne : 1 kg.
Voici ce que Christèle, grande dévoreuse de reptiles
(elle est de Hong Kong), nous précise sur le serpent : « Le serpent
est connu dans la médecine chinoise pour être une viande très "yang"
et donc il n'est pas recommandé de la consommer en été quand il fait chaud (question
d'équilibre), mais plutôt quand il fait froid pour pouvoir profiter de son
effet "yang" sur le corps. La meilleure période pour manger du
serpent est l'automne, quand on approche de l'hiver car le serpent se préparant
à entrer en hibernation fait alors ses réserves et aura une chair plus grasse.
Au printemps au sortir de l'hibernation, après avoir épuisé ses réserves, la
viande sera moins fournie et plus sèche... »
Alors, finalement, ce serpent, c’est
bon ? Il nous a été présenté en deux plats : d’une part les tronçons
du reptile en friture, et d’autre part la peau, frite avec des légumes. En gros
c’est comme du poisson, avec une colonne vertébrale et des arrêtes ; mais
en plus ferme, plus élastique et plus gras. On a plus de mal à détacher la chair
des arrêtes, il faut s’y prendre avec les mains comme pour le poulet. Comme
avec le poulet, la viande du serpent est plus prétexte à sauces et
assaisonnements que délicieuse par elle-même. La peau frite était graisseuse
comme de la peau de poulet pas assez cuite, mais j’imagine assez bien qu’elle
peut aussi être croustillante.
Si vous connaissez de ces labos de recherche
secrets où l’on ogéhème à grands frais des organismes, et que vous avez
vent d’un projet de croisement entre poule et poisson, dites-leur
d’arrêter les frais : ça existe déjà.
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