samedi 25 janvier 2014

Le serpent à la cantonaise



Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Là on est à Canton (广州).


Les Cantonais disent « Chez nous on mange tout ce qui a quatre pattes, sauf les tables et les chaises, et tout ce qui a des ailes, sauf les avions ». Ce qui rampe aussi. Et puis ce qui a six, huit, voire mille pattes. Et ce qui nage, ce qui végète, ce qui respire, bien sûr. Les grandes gastronomies sont nées des grandes famines, qui ont repoussé la curiosité et l’inventivité dans leurs derniers retranchements. Quand on parle, à l’étranger, de cuisine chinoise, il est surtout question de cuisine cantonaise : poussés à l’exode par les bouleversements des siècles derniers, ce sont des Cantonais surtout qui ont, dans les chinatowns du monde entier, ouvert ces restaurants qui mêlent le sucré et le salé, l’aigre et le doux, le chaud et le froid.


Ce soir c’est la soirée serpent. L’autre jour, sur les conseils de quelques laowais du cru, nous avons localisé la rue Yinjiang qui borde le fleuve : le centre de l’animation nocturne et gastronomique. Le choix est vite fait : c'est le « Poisson bondissant joyeusement »; sur une cinquantaine de mètres, le trottoir s’orne d’aquariums & de vivariums : reptiles, crustacés, poissons, des crevettes géantes, des homards, des langoustes bleues d’Australie, des serpents et des crocodiles, plus évidemment toutes sortes de poissons : mérous, rougets, esturgeons, anguilles. Sans compter le menu fretin des oursins, étoiles de mer, coquillages et limaces de mer. Les clients sont nombreux et joyeux, c’est bon signe.

La procédure est simple : l’hôtesse vous guide vers une table, vous remet un calepin portant le numéro de votre table, et puis vous n’avez plus qu’à vous promener entre les étals pour désigner vos invités du jour et à quelle sauce vous souhaitez les voir accommodés. La variété de serpents est limitée : pas de boas ni de cobras, juste des espèces de grosses couleuvres à l’air inoffensif. J’appelle le charmeur pour qu’il vienne me peser un spécimen de taille moyenne : 1 kg.

Voici ce que Christèle, grande dévoreuse de reptiles (elle est de Hong Kong), nous précise sur le serpent : « Le serpent est connu dans la médecine chinoise pour être une viande très "yang" et donc il n'est pas recommandé de la consommer en été quand il fait chaud (question d'équilibre), mais plutôt quand il fait froid pour pouvoir profiter de son effet "yang" sur le corps. La meilleure période pour manger du serpent est l'automne, quand on approche de l'hiver car le serpent se préparant à entrer en hibernation fait alors ses réserves et aura une chair plus grasse. Au printemps au sortir de l'hibernation, après avoir épuisé ses réserves, la viande sera moins fournie et plus sèche... »

Alors, finalement, ce serpent, c’est bon ? Il nous a été présenté en deux plats : d’une part les tronçons du reptile en friture, et d’autre part la peau, frite avec des légumes. En gros c’est comme du poisson, avec une colonne vertébrale et des arrêtes ; mais en plus ferme, plus élastique et plus gras. On a plus de mal à détacher la chair des arrêtes, il faut s’y prendre avec les mains comme pour le poulet. Comme avec le poulet, la viande du serpent est plus prétexte à sauces et assaisonnements que délicieuse par elle-même. La peau frite était graisseuse comme de la peau de poulet pas assez cuite, mais j’imagine assez bien qu’elle peut aussi être croustillante.

Si vous connaissez de ces labos de recherche secrets où l’on ogéhème à grands frais des organismes, et que vous avez vent d’un projet de croisement entre poule et poisson, dites-leur d’arrêter les frais : ça existe déjà.

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