dimanche 19 janvier 2014

Gais tropiques

Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Là on est à 广州 (Guangzhou, Canton quoi).


Certains, dont Napoléon, se targuent de voir l’histoire des pays inscrite dans leur géographie. D’autres, comme A. P. Parchev, voient l’économie d’un pays inscrite dans son climat.
Je vous livre en deux mots sa thèse, originale, voire ébouriffante à l’époque (l’an 2000) : la raison pour laquelle la Russie n’arrive à rien (et n’arrivera jamais à rien) économiquement est qu’il est impossible de produire quoi que ce soit de rentable sur un territoire où règne -20°C six mois de l’année. La survie des travailleurs exige des infrastructures minimales coûteuses (chauffage, nourriture riche en protéines, vêtements chauds) qui se traduisent, volens nolens, par un salaire minimum relativement élevé.

Parchev compare justement son pays aux Tigres asiatiques et disserte sur la parfaite adaptation de leur climat à la production industrielle : dans un pays où règne, hiver comme été, une température comprise entre 20 et 30°C, le travailleur ou l’esclave industriel se passe de vêtements élaborés : une paire de tongs & un short font l’affaire ; un bol de riz le maintient en vie ; pour chauffer l’atelier où il s’active avec ses collègues, l’employeur n’a qu’à ouvrir la fenêtre. Sous ces clémentes latitudes, un atelier en tôle ondulée suffit, point n’est besoin de coûteux murs en briques, et on ne se casse pas la tête sur l’isolation ! Toutes choses égales par ailleurs (prix de l’énergie, prix des matières premières, régime fiscal, régime social), l’usine située ici part avec un avantage compétitif considérable sur ses concurrents situés dans les pays froids !
Le second élément avancé par Parchev dans son ouvrage ‘Pourquoi la Russie n’est pas l’Amérique’ est l’élément ‘coût de transport’. Figurez-vous que le transport maritime coûte cent fois moins cher que le transport terrestre. Un porte-containers transporte d’un coup, et à moindre coût, la production de centaines d’usines. Pour peu que l’on ne soit pas trop pressé, un bien parcourt la moitié du globe quasiment gratis. Il imagine une carte du monde où l’on remplacerait les distances par les coûts de transport d’un point à un autre : on y retrouverait toutes les villes portuaires rassemblées autour d’une petite flaque d’eau centrale représentant les mers & les océans, tandis que vers les bords de la carte on chercherait, perdues dans l’aridité des coûteuses étendues continentales, les villes russes, kazakhes et ouzbèkes qui se trouvent loin de tout rivage.
Climat tropical, rivières & canaux omniprésents, villes & terminaux portuaires tous les 100 km ! Main-d’œuvre surabondante ! Sans tomber dans le fanatisme du jeune converti, on mesure d’un coup d’œil à quel point la Chine du Sud est taillée a priori pour la production industrielle. On comprend pourquoi le dieu de l’industrie mondiale a fait de Canton son Vatican. On comprend pourquoi les fidèles de la religion du commerce convergent deux fois par an dans cette Mecque des prix bas.
Canton – Guangzhou pour les intimes – a la tropicalité triomphante. Dans cette serre à ciel ouvert, le règne végétal prolifère, des frondaisons de palmiers et de bananiers emplissent silencieusement l’espace. Ce n’est pas parce qu’on est pauvres et bosseurs qu’on va rester des esclaves toute notre vie, semblent-ils nous dire, ces vendeurs du marché des fleurs. En cette période de préparation aux festivités de nouvel An, ils vendent des guirlandes de mandarines et des bouquets somptueux d’orchidées. 


En short & en tongs, je parcours la ville, environné d’une brume tiédasse qui vous poisse gentiment la peau. Une petite odeur fade de sang et de larmes flotte dans l’air – ah non, suis-je bête, c’est l’odeur des tropiques.

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