lundi 20 janvier 2014

La tour de Babel



Suite du voyage que vous propose Lee le sinologue de terrain : du Sud le plus torride au Nord le plus glacial, la Chine d'aujourd'hui et de demain. Là on en est à Canton (广州, guang zhou).



Une des découvertes majeures ici, ç’a été l’absence totale de la langue cantonaise. Pour vous situer, le cantonais, c’est un peu la langue d’Oc, le catalan, le flamand, de la Chine : le dialecte hyper-majoritaire dans une province qui pèse son pesant de cacahuètes au niveau économique, mais qui ne comprend pas la capitale. Le panache blanc de ralliement autour de la cause régionaliste. Le cantonais c’est le dialecte chinois du Sud, très différent par sa prononciation, très proche quand même du point de vue de la syntaxe et de l’écriture. 

A un détail près : ils n’avaient pas ici adopté la réforme du ‘chinois simplifié’ de 1958.


Le chinois ‘simplifié’ comme on l’appelle, c’est le chinois mandarin, le chinois officiel, le chinois « ordinaire » (putonghua 普通话). Celui qu’on parle à Pékin, celui qu’on parle dans les affaires et au bureau et avec les étrangers, celui qu’on entend à la télé. « Simplifié » - je n’aime pas cette dénomination, elle fait penser à une version low-cost du chinois. N’allez pas me dire qu’on en aurait fait un simple patois rudimentaire. Ce qui a été simplifié, c’est uniquement la calligraphie des caractères. Absurdement tarabiscotés à l’origine, magnifiques certes mais fastidieux à tracer et à retenir, on les a un peu standardisés, on leur a retiré une partie de leurs ornements d’apparat, on les a polis pour un usage plus efficace.

Mais la région de Canton n’a rien voulu entendre. Toujours un peu contestataires sur les bords, ces Méridionaux s’accrochaient à leurs magnifiques caractères « traditionnels », à leur dialecte de charretiers aux tons multiples. C’est la fin d’une époque : depuis mars 2012, c’est le mandarin de Pékin qui est désormais « encouragé ». Encouragé ? C’est à dire que c’est lui qui est désormais enseigné dans les écoles, imprimé dans les journaux, entendu à la télé et à la radio. J’étais étonné en arrivant de ne trouver aucun, mais alors aucun signe « traditionnel » : ni dans le métro, ni dans les publicités, ni – nulle part. Pas un ! Le cantonais est employé à l’oral, par exemple dans le métro, l’annonce des stations se fait en mandarin, en cantonais et en anglais. Et puis les gens le parlent entre eux dans la rue. Mais tout ce qui est écrit l’est désormais en mandarin. Dialecte régional contre langue officielle. Pot de terre contre pot de fer.

L’extension du mandarin dans toutes les régions chinoises signe l’unification du pays. Une sorte de Babel à rebours, où les régions et les peuples, au lieu de dialecter, se retrouvent (souvent contre leur gré) à converger autour d’un idiome unique. C’est la rançon du progrès et de la mondialisation. Comme partout dans le monde, de nombreux dialectes traditionnels ont déjà disparu sans retour dans les régions reculées pour faire place à la langue dominante. On assistera peut-être à la fin du cantonais ? Enfin avec 104 millions de locuteurs dans le pays, sans compter la diaspora (toutes les China-towns du monde) on n’en est pas encore là. Et puis, symbole d’une résistance farouche à l’esprit unificateur, voilà-t-y pas que les Cantonais se sont dotés d’une tour de Babel qui culmine à 600 mètres de hauteur ! Son nom officiel c’est la Canton Tower (广州塔). En fait 塔, ta, signifie "pagode". La pagode de Canton.

Quelques photos de cette belle réalisation, qui fut la plus haute tour de télévision du monde en 2010 et 2011, avant d’être dépassée par celle de Tokyo. Plateforme d’observation à 488 mètres quand même, et puis ces petites bulles touristiques de plexiglass qui se baladent tout au bord du gouffre, là, c’est assez inédit.

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