samedi 19 décembre 2015

Promenade olfactive



Les effluves pékinoises : je pourrais presque aller de chez moi jusqu’à la fac les yeux fermés, tant la carte olfactive du quartier est précise. Il y a d’abord les couloirs fraîchement javélisés de mon immeuble, puis le douceâtre arôme des poubelles au coin de la cour ; viennent ensuite les odeurs d’échappements du carrefour en bas de chez moi, celui qu’il me faut traverser à mon corps défendant. 

Le long de la rue Chengfu ce sont les petits kioskes de journaux, avec leur odeur de papier fraîchement imprimé… qui cèdent la place au plus passionnant : les échoppes & étals de kuai-chi (traduction libre de fast-food) qui se succèdent où l’on prépare dès tôt le matin de quoi doper un peu la productivité des prolétaires pendant toute la journée.

Avez-vous remarqué ? Nous comptons sur notre odorat pour pré-évaluer les qualités gustatives d’un plat. Cela alors qu’il n’existe pas de lien précis entre odeur & goût. Une soupe immangeable à force d’être trop salée n’en sent pas moins bon. Certains plats dégagent une odeur peu engageante alors que nous savons par expérience qu’ils sont délicieux (et nous surmontons donc notre répulsion). Ce n’est pas à vous, mes chers « singes capitulards mangeurs de fromages » (cheese-eating surrender monkeys, selon la dénomination en vigueur dans le département d’Etat US) que j’apprendrai à faire la grimace devant les aliments qui puent…

Admettez avec moi que le goût du Munster ne présente aucun lien réel avec la puissante odeur de chiottes qui est la sienne et qui adhère avec une viscosité toute particulière aux parois du réfrigérateur… Le roquefort, si on vous le met sous le nez sans prévenir, présente une caractéristique odeur de vomi. (Toutes ces précautions oratoires pour vous présenter les friandises que je humai ce matin)

J’avais depuis longtemps remarqué que flotte, sur un tronçon de mon parcours, de jour comme de nuit, une nappe aussi invisible au regard qu’impérieuse aux narines. Chaque matin je me prépare avec un effroi mêlé d’un certain plaisir pervers à la traversée inéluctable de cette puanteur localisée. Il s’agit, comment vous dire pour être précis sans verser dans le vulgaire… d’une sorte de puissante odeur de merde, mais fortement acidulée, qui vous saisit le nez comme une pince et le tord avec une douloureuse volupté… Je pensais avoir affaire à une canalisation défectueuse, sans pourtant parvenir à identifier la source de l’infection. Jusqu’à aujourd’hui, où ma curiosité turbide (et mon sacro-saint devoir de distraire les internautes de la monotonitude qui parfois les tourmente) me poussa à faire quelques recherches plus avancées. 

Quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces remarquables fragrances prennent leur source non pas dans la décomposition de l’enveloppe terrestre de quelque mammifère, ni dans le produit des défécations nocturnes de tout un quartier, ni … bref : il s’agit tout simplement du fumet subtil de plats bien de chez nous (oui, de Pékin) à peine sortis de la marmite pour être offerts à l’appétit des passants.

 

Des passants qui, loin de faire la sourde oreille à ces stridents appels du pied, faisaient le pied de grue pour acheter cul par-dessus tête de quoi se régaler pendant la pause-café. Admirez ces photos et devinez : cékikipudonktan ?

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