Les effluves pékinoises : je pourrais presque aller
de chez moi jusqu’à la fac les yeux fermés, tant la carte olfactive du quartier
est précise. Il y a d’abord les couloirs fraîchement javélisés de mon immeuble,
puis le douceâtre arôme des poubelles au coin de la cour ; viennent
ensuite les odeurs d’échappements du carrefour en bas de chez moi, celui qu’il
me faut traverser à mon corps défendant.
Le long de la rue Chengfu ce sont les petits kioskes de
journaux, avec leur odeur de papier fraîchement imprimé… qui cèdent la place au
plus passionnant : les échoppes & étals de kuai-chi (traduction libre de fast-food)
qui se succèdent où l’on prépare dès tôt le matin de quoi doper un peu la
productivité des prolétaires pendant toute la journée.
Avez-vous remarqué ? Nous comptons sur notre odorat
pour pré-évaluer les qualités gustatives d’un plat. Cela alors qu’il n’existe
pas de lien précis entre odeur & goût. Une soupe immangeable à force d’être
trop salée n’en sent pas moins bon. Certains plats dégagent une odeur peu
engageante alors que nous savons par expérience qu’ils sont délicieux (et nous
surmontons donc notre répulsion). Ce n’est pas à vous, mes chers « singes
capitulards mangeurs de fromages » (cheese-eating surrender monkeys, selon
la dénomination en vigueur dans le département d’Etat US) que j’apprendrai à
faire la grimace devant les aliments qui puent…
Admettez avec moi que le goût du Munster ne présente
aucun lien réel avec la puissante odeur de chiottes qui est la sienne et qui
adhère avec une viscosité toute particulière aux parois du réfrigérateur… Le
roquefort, si on vous le met sous le nez sans prévenir, présente une
caractéristique odeur de vomi. (Toutes ces précautions oratoires pour vous
présenter les friandises que je humai ce matin)
J’avais depuis longtemps remarqué que flotte, sur un
tronçon de mon parcours, de jour comme de nuit, une nappe aussi invisible au
regard qu’impérieuse aux narines. Chaque matin je me prépare avec un effroi
mêlé d’un certain plaisir pervers à la traversée inéluctable de cette puanteur
localisée. Il s’agit, comment vous dire pour être précis sans verser dans le
vulgaire… d’une sorte de puissante odeur de merde,
mais fortement acidulée, qui vous
saisit le nez comme une pince et le tord avec une douloureuse volupté… Je
pensais avoir affaire à une canalisation défectueuse, sans pourtant parvenir à
identifier la source de l’infection. Jusqu’à aujourd’hui, où ma curiosité
turbide (et mon sacro-saint devoir de distraire les internautes de la
monotonitude qui parfois les tourmente) me poussa à faire quelques recherches
plus avancées.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater que ces remarquables
fragrances prennent leur source non pas dans la décomposition de l’enveloppe
terrestre de quelque mammifère, ni dans le produit des défécations nocturnes de
tout un quartier, ni … bref : il s’agit tout simplement du fumet subtil de
plats bien de chez nous (oui, de Pékin) à peine sortis de la marmite pour être
offerts à l’appétit des passants.
Des passants qui, loin de faire la sourde oreille à ces stridents appels du pied, faisaient le pied de grue pour acheter cul par-dessus tête de quoi se régaler pendant la pause-café. Admirez ces photos et devinez : cékikipudonktan ?
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