vendredi 14 mars 2014

Sur la route de Shangri-La : la cuisine du Yunnan (suite)


Suite des merveilleux voyages de Lee le sinologue aux semelles de vent ! Cette fois ce sont des notes qui datent de l'année dernière : voyage au Yunnan (云南), le Sud-Ouest montagneux & mystérieux, le pays des confins !
 
Le secret de la cuisine du Yunnan ne se trouve pas dans la soupe. Ni d’ailleurs dans les ingrédients principaux, poulet, porc, poisson, légumes que l’on trouve partout ailleurs en Chine. Tout cela serait banal sans l’extraordinaire apport de la botanique tropicale dont je vous parlais tantôt. C’est le nombre et la diversité des épices qui fait la richesse des saveurs du Yunnan. 

Diversité, modération et subtilité : coincés entre le Sichuan et la Thaïlande, les Yunnanais dissimulent poliment leur mépris pour la manie de leurs voisins qui submergent invariablement leurs plats d’un napalm ultra-concentré au piment rouge. Pour ces plats que l'agent orange uniformise en goût et en couleur. Pour ces plats "on pleure deux fois" qui éradiquent le goût des ingrédients et réservent le plaisir de la table aux masochistes. Ici, on sait doser. Herbes, condiments, essences, marinades, sont les pixels à l’aide desquels le cuisinier yunnanais ciselle avec patience et dextérité, pour chaque plat, une fresque gustative en 3D. Amertume soigneusement dosée, petite pointe d’acidité, une brûlure pimentée fondant gentiment sur la langue et se dissolvant docilement avec l’entrée en scène du riz. La viande et les légumes s’effacent devant l’expressive juxtaposition des goûts et des couleurs.



A chaque plat c’est la surprise : un film à grand suspense qui se projette sur votre palais.

Histoire de vous mettre en appétit, je vous livre quelques-uns des blockbusters les plus courus de la région, avant de vous asséner le scoop culinaire caché au Yunnan (mais ce sera pour la prochaine fois).


La poule au pot de Lijiang (丽江气锅鸡) : poulet-patates cuit à l’étouffée dans un pot de terre glaise. Là encore ce ne sont pas les ingrédients de base qui sont extraordinaires, mais bien le savant agencement des herbes aromatiques qui fait toute la différence. Il est plus ou moins réussi selon les établissements, chaque chef se piquant d’une interprétation personnelle de la partition.


Risette de la nana (菠萝饭 – aussi appelé risotto à l’ananas) : cette recette nous vient de la minorité Dai, du sud du Yunnan. Voyez comme la nature est bien faite : c’est justement une des grandes régions rizicoles, où prolifèrent les ananas. La présentation est sympathique, un demi-ananas évidé, rempli de riz sauté avec des petits lardons et dés d’ananas.

Rushan (乳扇), ou fromage à base de petit lait, frit. Un goût un peu aigrelet, inattendu la première fois, mais on s’habitue très bien. Vous avez remarqué ? Aimer ou ne pas aimer un plat, c’est en fait le connaître ou pas. On aime les goûts auxquels on s’attend, on est rebuté par les goûts qui vous surprennent. Le secret d’une exploration réussie est donc de regoûter. Eh oui, désolé les enfants : avant, la règle était « on goûte avant de dire qu’on n’aime pas ». 

Désormais, règle renforcée : « on goûte DEUX FOIS avant de dire que c’est pas bon ».
Une autre spécialité du coin, c’est la viande de yack séchée. Des petits morceaux de bifteck, secs et durs comme de la semelle de chaussure, savamment épicés et parfumés à la marinade, avec un petit arrière-goût vinaigré-sucré, que l’on mâche interminablement tandis que la bouche s’emplit des condiments qui se distillent et des arômes de pâturages. C’est la nourriture des coureurs de montagne, le concentré énergétique qui se conserve indéfiniment et se mange en marchant. A tous les coins de rue on trouve ces échoppes où l’on vous vend au poids, par poignées, la viande de yack séchée (干毛牛肉).  

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