A-t-il réellement existé, le « Royaume des femmes » ? Il tient une grande place dans les récits de Rock l’aventurier botaniste, qui s’est sérieusement pris au jeu, lançant sa lourde caravane d’explorateur à la recherche de la reine du royaume perdu dont parlaient les explorateurs et les aventuriers mais que nul n’avait jamais vu.
Un royaume décrit récemment par Yang Namu, une jeune fille naxi qui est devenue célèbre en Chine, qui décrit dans son autobiographie le fonctionnement de la société dongba : «Au pays des filles, les femmes sont chef de famille». Et, remarque Namu, « Pour garder le pouvoir, il faut travailler. Donc les hommes ne fichent pas grand-chose. »
« Les pères n’existent pas, ils se contentent d’« arroser » un fœtus préexistant dans le ventre de la mère. Celles-ci choisissent aussi leurs amoureux. Dès 13 ans, chaque adolescente a droit à une « chambre des fleurs », où elle peut recevoir les hommes. Lors d’une danse nocturne autour du feu, l’homme gratouille la main de la jeune femme qui lui plaît. Si celle-ci n’enlève pas sa main, il est invité à venir lui rendre visite dans la chambre des fleurs. Les garçons sont ainsi condamnés à ne jamais être que les invités d’une femme pour une nuit. Ils repartent le lendemain matin chez leur mère, leurs tantes et leurs oncles. »
« Chez nous, il n’y a pas de mariage, explique Namu. On ne vit pas avec un homme, on passe la nuit avec lui. C’est pratique, il n’y a jamais de divorces, ni de conflits, ni de jaloux. Si un homme est amoureux et qu’il n’est pas invité dans la chambre des fleurs, il n’est pas triste : il attend son tour. »
Lors de notre escapade à dos de mulet, j’épiais la
conversation entre mes petits accompagnateurs, qui avaient eu vent de la
légende des Naxi, et nos guides, un homme maigre et une femme grasse, tous deux
burinés par le soleil, la peau presque noire. « C’est vrai que chez les Naxi, il n’y a pas de mariage ? Que tout
le monde est copain avec tout le monde ? » (je ne sais pas si ma
traduction est la bonne, mais disons que la curiosité bien chinoise pour les us & coutumes des autres, voire
carrément les détails de leur biographie, se tempérait d’une certaine prudence
dans la formulation). Entendant la question, on voit la femme se recroqueviller
sur un sourire un peu égrillard, tandis que l’homme bombe le torse.
« Absolument ! se pavane-t-il : C’est notre tradition et on en est
fiers ! Les hommes, ici, ont autant de femmes qu’ils le
souhaitent ! Moi, par exemple, j’en ai quatre ». La
conversation s’enflamme et devient désordonnée : « Mais tes femmes ont aussi d’autres maris,
alors ?
C’est tout le monde ou seulement certaines personnes ? Que
dit la loi ? ». Il élude le bombardement de questions pour se
renseigner à son tour : « Et
chez vous alors ? En France ? On peut avoir plusieurs femmes ou
pas ? ». Je lui réponds qu’on peut, mais pas en même temps :
mariage-divorce-remariage. Polygamie
séquentielle, comme disait mon collègue Patrick. Les Chinois opinent du
chef, puis les regards se croisent – non, en fait, le divorce existe mais reste
peu pratiqué en Chine. Le mariage, ici, reste plus une transaction patrimoniale
qu’une histoire de passion folle.
Sagesse des Chinois : la passion amoureuse ne dure
qu’un temps, et cette belle folie ne peut que déboucher sur une consternation
d’intensité proportionnelle. Construire du durable sur une tempête ? Fixer
pour toujours une bouffée d’adrénaline ? Promettre devant témoins de faire
durer jusqu’à la mort la passion d’un moment ? En revanche, les
conséquences légales du mariage sur le patrimoine des époux sont là pour
toujours. Le mariage de deux personnes est donc une affaire plus familiale que
privée, faite de négociations multipartites et soumise à des consentements
multiples.
La tradition confucéenne perdure par-delà les grandes
réformes sociétales de Mao.
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