jeudi 17 avril 2014

La Chine des bas-côtés : 2 - l'apiculteur n'aimait pas les Japonais



Les sinologues parisiens dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités, de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a enfourché son biclou rouillé pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas. Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés. 


J’avais remarqué que le bord de la route nationale 103 était non seulement couvert de fleurs, mais également que des tombes le parsemaient. Des tombes éparpillées tous les cent ou deux cents mètres, parfois un peu plus rapprochées. De simples petits monticules de terre avec une plaque en pierre portant le nom du défunt (des tombes sauvages : d'après la loi, l'incinération des défunts est obligatoire en Chine. Mais dans les campagnes, on préfère procéder à l'ancienne). Elles seraient passées inaperçues en temps normal, mais là, la Toussaint chinoise vient de se terminer et elles sont toutes neuves, nettoyées, décorées de fleurs, et souvent environnées des petits papiers rouges laissés par les pétards qui ont dû drôlement secouer le repos des vénérables ossements.

A l’heure de sa défaite inéluctable, Spartacus, dans le récit d’Arthur Koestler, voit une tombe au bord de la route. « Moi, Caïus Mordicus, suis enterré au bord de la route. De cette façon, les passants peuvent me dire « Salut, Caïus ! ». « Salut, Caïus ! » dit Spartacus.

En m’arrêtant je remarquai à quelques pas de la route un alignement de ruches, et bientôt aussi une cabane en planches devant laquelle un homme était assis. Cet homme s’appelle Monsieur Wu, et il est apiculteur de son état. Il vit 3 mois par an avec sa femme dans ce petit taudis en planches, avant de déménager ses ruches vers le Nord (pas bien compris où exactement) lorsque la floraison se terminera ici. Comme il a l’air disposé à la discussion j’en profite pour l’interroger sur sa profession. « Pas de patron, pas d’horaires, la nature, pas de stress, que je lui dis : ça doit être chouette comme travail ? Quand je vois les Pékinois dans leur voiture, dans les embouteillages, deux heures de la maison au bureau, le chef qui leur aboie dessus toute la journée… » Il acquiesce en souriant, mais rectifie : « Moi aussi j’ai des périodes stressantes : lorsque la saison bat son plein, il faut récolter le miel de 100 ruches en quelques jours, et puis ensuite le déménagement… ». Se levant soudain, il appelle sa femme, ils me tendent un chapeau d’apiculteur et me font signe de les suivre.

J’assiste à une récolte impromptue : j’étais loin d’imaginer la chose possible, mais c’est finalement tout simple. Il ouvre, envoie la fumée, puis soulève un rayon, hop, un petit coup de balayette pour ôter les abeilles assommées par la fumée, et il place le rayon dans une petite centrifugeuse à manivelle. Quelques tours de manivelle et puis tout reprend sa place. Ensuite la centrifugeuse est vidée dans un pot qu’il me tend, non sans avoir d’abord passé un coup de chiffon dessus. « C’est un cadeau, qu’il me dit. C’est la deuxième fois qu’un laowai vient nous rendre visite. L’autre fois c’était un Canadien, à vélo lui aussi. »

Je ne sais pas trop quoi ajouter, je réfléchis à ce que je pourrais lui donner en échange, un souvenir de France, mais mon barda est limité au strict minimum.



M. Wu enchaîne soudain, avec un regard dur auquel je ne m’attendais pas : « Canadiens, Français, ce sont des pays avec lesquels nous avons de bonnes relations. Ceux que je n’aime pas, ce sont les Japonais. » Interloqué, j’embraie : « Oui, évidemment, la guerre, les horreurs. Mais maintenant les relations sont plus ou moins normalisées ... On voit beaucoup de Japonais à Pékin, qui ouvrent des entreprises ou apprennent le chinois… ». M. Wu reste silencieux un moment, puis secoue la tête : « Non, les Japonais ne sont pas nos amis. S’ils viennent en Chine, c’est pour essayer de nous prendre ce que nous avons. Voyez l’histoire avec les Diaoyu. Mais on ne se laissera pas faire ! »

Un ange et quelques abeilles passent.

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