lundi 21 avril 2014

La Chine des bas-côtés : 4 - Fuyons le Salon de l'automobile de Pékin





Les sinologues parisiens dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités, de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a enfourché son biclou rouillé pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas. Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés. 


La Chine est le pays où se joue la survie des constructeurs, chinois ou non. On comprend qu’ils soient tous là… Pour nous les Pékins mortels, le Salon international de l’automobile de Pékin est surtout l’occasion d’admirer de magnifiques châssis, des carrosseries étourdissantes et des formes futuristes.

A Tongzhou, pour avoir un café et un accès à internet, j’avais fait une entorse à ma politique de boycott du McDo. Me voilà attablé dans un environnement tout-plastique, une musique d’ascenseur absurdement forte me casse les oreilles, un café insipide achève de me réveiller. Je me suis décidément levé du pied gauche. Non seulement c’est un McDo, mais c’est un McDo drive-in : de l’autre côté de la vitre, je vois défiler les jeunes sino-bobos au volant de leurs voitures rutilantes. Ils s’alignent sagement devant la caméra-micro qui leur lance à la figure un message automatisé à la politesse factice « Cher ami-client, nous sommes heureux que vous ayez daigné choisir notre restaurant ! Veuillez passer commande maintenant ». Nourriture plastique, grosses bagnoles et politesse enregistrée : c’est comme cela que la Chine imagine le rêve occidental. Peu regardante, elle s’empresse de s’y conformer.

     Dans mon rêve chinois, au contraire, la Chine reste le pays du vélo. Je m’empresse de m’y conformer et me remets en route. 
     Je craignais avant de partir d'avoir du mal à choisir des petites routes (mon GPS merdique acheté sur internet ne conçoit même pas qu’on puisse circuler à vélo). Craintes infondées finalement : toutes les routes sont équipées d’une piste cyclable aux proportions généreuses (pas les 50 cm qu’on a chez nous : 3 mètres de large minimum, 10 mètres parfois) où vélos, électrocycles et autres moutons circulent à leur aise et en toute sécurité (souvent à contresens).

D’autre part je craignais les crevaisons et généralement la mauvaise qualité des routes hors des villes. Mais finalement 99% du parcours s’est fait sur un asphalte bien entretenu (quoique semé parfois de gravillons un peu acérés) ; sur 1% environ il a fallu ralentir pour gérer précisément les nids de poule et les cahots.

Un peu plus loin, après vingt kilomètres de serres des deux côtés de la nationale 103, un panneau géant m’intrigue : « Ville N°1 de Chine. Attraction historico-touristique ». Comme c’est à seulement 1km, je décide de faire le détour.


Les hypothèses s’entrechoquent dans ma tête : ville n°1 ? s’agirait-il de quelque village primitif récemment exhumé par les archéologues ? De quelque hameau super-ancien, berceau de la Chine du Nord ? J’avise un paroissien qui marche sur le trottoir dans le même sens que moi. Monsieur Wang, vingt-cinq ans, est agent immobilier. Il travaille dans le complexe de tours d’habitation que l’on voit sortir du sol à quelques encablures. « La cité n°1 ? Oui, je connais très bien ! » Il m’explique de quoi il retourne : un parc historico-kitsch, qui se construit et s’agrandit depuis la fin des années 90 et qui regroupe, reconstruits à neuf sur une échelle un peu réduite, les plus anciens monuments du pays : la Cité interdite de Pékin, le centre-ville de Chengde, tel immense palais du Sichuan, tel autre extrait de Pingyao. En approchant, je vois que le parc est ceint d’une réplique de la grande muraille : base de pierre, pans en brique grise, et puis les petits créneaux maçonnés caractéristiques. Un terrain de golf immense jouxte l’ensemble.
 
« Agent immobilier ? » je l’interroge. M. Wang ne se fait pas prier pour me décrire son job. Les immeubles qui poussent d’ici à l’horizon se vendent comme des petits pains, me dit-il. Parfait pour les Pékinois : nous nous trouvons à 50 minutes seulement en voiture du centre-ville, l’air est plus pur, et le prix du m² est dix fois moindre (à partir de 6300 yuan, environ 750 Euros, dit le panneau). Lui-même est payé à la commission et gagne environ 20 000 yuan par mois : cette annonce ne provoque qu’un sourire un peu fatigué chez ce jeune ambitieux. « Oui, c’est pas mal, concède-t-il. Mais mon patron, lui, il fait réellement du blé ».

Alors que l’on approche de l’entrée de la ville n°1 M. Wang me précise : le billet d’entrée est assez cher, 80 yuan environ. Mais nous, les habitants du coin, on peut les avoir pour moins que ça. Je vais vous aider ». Et de héler l’un des vendeurs de billets à la sauvette et de me négocier un billet à 40 kuai. Manque de bol, le vendeur me met en garde : « Vous ne pourrez pas entrer en vélo ». Quoi ? Je vois que la plupart des visiteurs entrent dans le parc en voiture. « En voiture ou à pied, mais pas à vélo, me précise-t-il. Ça ne fait rien, vous pouvez me le laisser et je vous le garde pendant votre visite … » Ce n’est pas que je ne lui fasse pas confiance, mais j’ai déjà les jambes lourdes et la perspective de parcourir des kilomètres à pied ne m’enchante pas. Tant pis, ce sera pour une autre fois. Je prends congé de M. Wang qui doit reprendre son travail, et je continue mon exploration de la Chine des bas-côtés.

Que ça soit la ville antique n°1 ou la cité-dortoir encore en construction, la Chine se réorganise autour de la bagnole. L’Empire du drive-in

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