Les sinologues parisiens
dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités,
de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de
droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a
enfourché son biclou rouillé pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas.
Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés.
Le bas-côté de
Beijing, c’est Tianjin. La ville la plus européenne de Chine. Pas tant pour ses
bâtiments d’architecture coloniale datant de la période des guerres
de l’opium que pour ses rues propres et ombragées, ses trottoirs
systématiques , ses boutiques omniprésentes. Proprette, occidentalisée,
moderne, elle dépayse. Bon ici aussi, ce sont les chantiers stratosphériques qui
dominent le paysage. Comme le reste du pays, et comme à l’époque de Mao, plus
vite encore, Tianjin fait peau neuve et se débarrasse de ses Quatre vieilleries
(四旧) : vieilles idées (旧思想), vieille culture (旧文化), vieilles coutumes (旧风俗), vieilles habitudes (旧习惯).
Quelques vestiges résistent difficilement à cette nouvelle Révolution
culturelle.
Il y a le Marché aux oiseaux près de la gare de l’Ouest. Sur un kilomètre
de rue peu fréquentée, on admire, on discute et on échange des petites cages en
osier contenant des oiseaux chanteurs. Les Chinois d’un certain âge sont
littéralement passionnés par ce hobby. On les voit promener leurs oiseaux dans
des cages obscurcies par un abat-jour en tissu, rechercher une branche ombragée
et pas trop élevée où accrocher la cage, puis jouer aux cartes ou aux échecs entre
vieux, en écoutant les oiseaux chanter. Alors c’est tout un bizness : les
graines adaptées à chaque espèce, les petits accessoires de nettoyage des cages
et de limage des griffes, etc.
L’autre attraction en voie de disparition, c’est Goubuli (狗不理). Le
vrai secret culinaire de Tian Jin, ce sont les « baozi le chien les
snobe » (狗不理包子). Curieuse dénomination pour un
plat délicieux, me direz-vous ? Laissez-moi vous conter l’affaire. Ou
plutôt la légende. Enfin l’histoire vraie bien qu’un peu romancée sans doute de
ces fameux baozi cuits à la vapeur dans l’échoppe de Gou Li à deux pas du
centre-ville. Figurez-vous que Gao Gui Fan, fils d’un modeste boutiquier qui
avait établi un fast-food sur la rue
la plus fréquentée de Tian Jin, s’était mis en tête de perfectionner la recette
paternelle. J’oublie de préciser que Gui Fan, fils unique adoré de ses parents,
gavé de pâtisseries depuis sa plus tendre enfance, avait une bouille ronde des
plus engageantes qui lui valut le surnom de « Chiot » (Gou Zi). A
force de labeur acharné, il y réussit si bien (à perfectionner la recette
paternelle) que sa boutique se mit à attirer une foule de clients plus en plus
nombreuse et exigeante. Pâte fine mais ne laissant pas échapper le jus, farce
parfumée et fondant sous le palais, texture ferme mais souple, dix-huit replis,
pas un de plus ni de moins : en dépit de leur aspect ordinaire, on se les
arrachait littéralement, les baozi de Gui Fan! On raconte même que
l’impératrice Cixi en personne faisait acheter et ramener de Tian Jin à Pékin
les baozi de Gui Fan dont elle raffolait. Ne sachant plus où donner de la tête,
le malheureux Gui Fan servait ses clients au débotté, ne reconnaissant plus
personne et ne pouvant, faute de temps, s’interrompre un instant pour saluer
telle ou telle vieille connaissance. D’où la blague lancée par ses camarades,
mi-amusés et mi-vexés du surmenage permanent de leur ami : « Gou Bu
Li » c'est-à-dire : « le chiot nous snobe ». D’où le surnom
que prirent progressivement ces friandises plus délicieuses
qu’appétissantes : les « baozi ‘le chien les snobe’ ».
Qu’en est-il désormais ? Je ne suis pas allé vérifier personnellement.
Confidence recueillie en passant d’une Russe qui travaille à Tianjin :
« Goubuli, autrefois, c’était vraiment quelque chose, de la viande comme
ça (beaucoup) et de la pâte comme ça (peu). Mais depuis qu’ils ont été rachetés
par les Américains, ça n’a plus aucun intérêt. Dégueulasse, cher, proportions
inversées… »
Renseignement pris, l’établissement est toujours chinois, mais il
appartient désormais à une compagnie d’assurances qui a décidé d’en faire une
franchise et d’internationaliser un peu son nom en Go Believe.
Comme souvent, la juteuse opération financière est un désastre culinaire et
une bérézina culturelle.
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