Les sinologues parisiens dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités, de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a enfourché son biclou rouillé pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas. Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés.
Parti tôt le
matin du village de la poussière tournoyante, après une crevaison suivie d’une
épuisante marche à pied, ayant rempli mon quota hebdomadaire d’arides zones
industrielles et de voies rapides désertiques, avalé plusieurs kilos de
poussière, je ne rêvais que de trois choses : prendre un peu de repos, une
douche et une bière. Hélas, le prochain patelin est annoncé à 24 km, et en
dehors de quelques échangeurs routiers ma foi bien embrouillés, je ne vois rien
de très avenant. Je quitte la voie 205 pour aller tenter ma chance dans une
sorte de ville-fantôme : le long de la route poudreuse, c’est une enfilade de magasins,
de petits ateliers, de réparateurs de poids lourds, de boui-bouis, bref vous
voyez le genre. Pas un chat en vue.
![](https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgk82D95HfOBlkfCbGa-ldOdZ1-RIN67gLTtGmErONQFKk-VJG9QBn0kyxMgb2uwO2rEPu6czsOl_mzrzuTsI_MigZgjdrNSYXyXExisSktiz9-gcHMkwv3DYoTkzRxm-L0n320sqxP3sk/s1600/La+boutique+est+bien+tenue.jpg)
Je nourris depuis
toujours une certaine prévention pour les bouddhistes. Avec leurs histoires de
karma et de réincarnations, leurs petits airs pacifistes et leur sourire zen,
il me semblaient trop polis pour être honnêtes. Aussi bien les moines voyageurs
que l’on rencontre sur le bord des routes que les moines sédentaires qui gardent
les temples me paraissent toujours curieusement obsédés par l’idée d’élever
votre âme en vous libérant de vos possessions matérielles. Mais bon, je n’étais
pas tellement en posture de faire la fine bouche. Et puis en fait de
possessions matérielles, hormis mon vélo et quelques affaires de toilette…
difficile de m’alléger encore plus.
Un moine se met
en devoir de pousser mon vélo dans le temple. Une femme habillée en civil
m’indique où m’installer. Tout le monde me salue avec un sourire bienveillant.
« Repose-toi, me dit-on, tout à l’heure on va manger ». Je m’installe
sur le matelas qu’on m’a désigné et je m’endors instantanément, bercé par une
sorte de chant répétitif qui sort d’un haut-parleur dans la cour.
Lorsque je me
réveille, il commence à faire nuit. Je fais le tour du temple : une entrée
de parade, un temple proprement dit avec une statue du bouddha, quelques
arbustes, une fontaine avec des poissons rouges, quelques chambres et une
cuisine dans un coin, des toilettes plus que rudimentaires à l’autre bout,
gardées par un chien féroce qui aboie comme un maboul lorsqu’on essaie
d’approcher (il est attaché : je passe devant lui, les genoux à quelques
centimètres de ses crocs, lui aboyant et écumant de rage).
Je crains vaguement le moment où un moine va me tomber sur le paletot et me proposer un petit audit spirituel, qu'il me serait malaisé de refuser mais gonflant d'accepter...
Je décide d’aller faire un petit tour dans le patelin, histoire d’acheter quelques fruits et légumes et de compenser dans une certaine mesure la dette karmique que je viens de contracter. Et aussi de boire une bibine : ces végétariens buveurs de thé ne sont certainement pas très portés sur les boissons alcoolisées. Je trouve d’abord un boui-boui halal qui me sert une bière. Le patron, tout content de voir débarquer le premier laowai de l’année, me file aussi une tournée de cacahuètes, histoire d’engager la conversation. « Vous venez de France ? Mais pourquoi dans ce trou perdu ? Ah bon, en vélo ? De Pékin ? Ça alors… ». Il m’indique une échope où je fais l’acquisition d’une pastèque.
C’est en faisant
provisoirement partie de la famille que j’ai finalement compris comment
fonctionne le bouddha-bizness. Il faut considérer ça (ce temple) comme un
restaurant ou un magasin, bref une PME familiale. A l’entrée, le menu
annonce les tarifs : 50 kuai pour une petite prière, 100 kuai pour des
bâtons d’encens, etc etc, et jusqu’à 1000 kuai pour un bon passage au Kärcher de
l’âme avec shampooing, séchage et lotion assouplissante. Les gens qui le désirent
viennent, choisissent les services spirituels que leur âme demande et leur
porte-monnaie supporte, et voilà tout. Le budget du temple est le budget
familial : il faut entretenir les bâtiments, repeindre un peu par-ci
par-là, et puis payer l’électricité, l’internet (eh oui), et puis bon faire la
cuisine, acheter des smartphones de temps en temps. Comme n’importe quelle famille
chinoise. J’imagine qu’il y a une sorte de loyer à acquitter à la commune pour
l’occupation des lieux.
Je vous parle de
la supérette spirituelle. Bien tenue, rentable, jouissant d’une bonne
réputation à l’échelle locale. Il existe bien entendu des hypermarchés de l’âme : dans certains temples, des gourous célèbres
pour leur magnétisme attirent des croyants venus de tout le pays. Les tarifs y
sont bien sûr plus élevés.
Le bouddhisme ne
possède pas de hiérarchie très développée sur le modèle du Vatican : il y
a les moines traîne-savate qui parcourent les rues à pied et accumulent par cette vie dure et modeste et une méditation permanente un capital spirituel qu’ils pourront à
l’occasion mettre au service de l’une ou l’autre boutique qui voudra bien les
employer.
Moi, voyageur
solitaire à vélo, j’entre finalement assez bien dans cette catégorie ; ce
qui explique la facile hospitalité dont j’ai bénéficié. Ils n’ont absolument
pas voulu me lâcher avant d’avoir absorbé un copieux petit déjeuner. Lorsque je
demande si je peux faire une petite photo souvenir, le lama en chef acquiesce
et disparaît immédiatement au petit trot ! Je me demande s’il a compris ma
requête ou cru que je voulais photographier le temple… Mais il réapparaît
bientôt en grande tenue, flanqué de son petit héritier lui aussi de jaune vêtu,
et appelle ses collègues pour prendre les clichés sur mon appareil et sur son
iPhone. D’abord ici, puis là, puis devant le portail, voilà encore une, tiens
depuis là, l’éclairage est meilleur…
Laowai mettra ses
aventures sur Facebook, voire même sur leeleblog,
c’est toujours bon à prendre pour la promo du temple !
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