jeudi 22 mai 2014

La Chine des bas-côtés: 8 - Paysans et paysages



Les sinologues parisiens dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités, de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a enfourché son destrier tout neuf pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas. Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés. 


Après quelques centaines de km de rase campagne, découverte massive : il y a un monde fou employé sur les routes. Pour les construire, bien sûr : avec 33 000 km d’autoroutes nouvelles par an, le pays est lancé dans une bagnolisation frénétique qui ne peut que faire saliver les constructeurs et les pétroliers du monde entier.

Mais aussi pour les entretenir : tous les 3-4 km, je croise une brigade de nettoyage des bas-côtés, une brigade de plantage ou d’arrosage. Il faut bien repaysager un peu les zones dévastées par la construction de routes, de ponts et de rocades. Et ils n’y vont pas avec le dos de la baguette : grues, camions chargés d’arbres, escouades composées de plusieurs douzaines de travailleurs de choc en uniforme, armés de pelles, de balais et de masques anti-poussière. 


Ça tombe bien, justement, il faut créer des emplois ! L’exode rural, la soif de millions de péquenots de s’intégrer à la grande famille du capitalisme urbain, le rêve de pouvoir un jour, à force d’efforts surhumains, piloter une voiture d’occasion que l’on pourra appeler d’un doux surnom… que voulez-vous, ces rêves sont universellement partagés. Aussi ridicules nous semblent-ils à nous (qui rêvons de piloter non pas une bagnole d’occasion, mais une berline allemande de luxe), ces rêves sont le moteur de toute économie, qu’elle soit chinoise ou d’un autre pays.


Reste que l’entretien des routes est en Chine une source non négligeable d’emplois : mon estimation scientifique au doigt mouillé donne 4,4 millions de km de routes, divisés par 3 ou 4 km, multipliés par 10 à 20 personnes par brigade, soit entre 11 et 29 millions d’emplois !
Voyez comme la nature est bien faite : il faut reforester des kilomètres et des kilomètres carrés de terre remuée et retournée par les engins de chantier. Un travail qui correspond idéalement aux qualifications de ces anciens paysans. Bon, les esprits chagrins vont me dire qu’il vaudrait mieux en faire des comptables ou des informaticiens… Eternel dilemme entre le réalisme et l’idéalisme. Vaut-il mieux réussir une reconversion facile ou rater une reconversion trop ambitieuse ? Les Chinois, sevrés de grandes expériences sociales et de folies pendant la Révolution culturelle, choisissent une fois de plus la voie du pragmatisme. Résultat : pas de chômage et des routes et autoroutes fleuries, des bas-côtés boisés et des rocades luxuriantes.

Je me demandais pourquoi on ne faisait pas pareil chez nous.


Vous allez me dire que nos chômeurs ne vont pas se bousculer pour aller se faire des ampoules à manier la pelle et la houe à longueur de journée ? Il semblerait que les problèmes de notre pays sont un peu différents de ceux de l’Empire du milieu. Chez nous, on parle moins de la nécessité de fleurir les autoroutes et plus de la nécessité de lutter contre la fraude fiscale qui coûterait au pays entre 60 et 80 milliards par an. L’optimisation fiscale douteuse des multinationales se monterait quant à elle à plus de 100 milliards ; mais elle est malaisée à déjouer parce qu’elle requiert un gros travail d’analyse des comptes (les prix de transfert, les interprétations tendancieuses du Code des impôts, etc). Voilà une tâche colossale à laquelle on pourrait atteler nos bataillons de chômeurs ! Une petite formation juridico-comptable-fiscale, un ordinateur, et hop ! Qu’ils se rendent utiles à faire rentrer dans le budget ces pépettes qui veulent sans cesse s’en échapper !


Enfin bon, le point de vue chinois, on sait ce qu’il pèse en Europe …

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