Les sinologues parisiens
dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités,
de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de
droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a
enfourché son destrier tout neuf pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas.
Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés.
Après quelques centaines
de km de rase campagne, découverte massive : il y a un monde fou employé
sur les routes. Pour les construire, bien sûr : avec 33 000 km
d’autoroutes nouvelles par an, le pays est lancé dans une bagnolisation
frénétique qui ne peut que faire saliver les constructeurs et les pétroliers du
monde entier.
Mais aussi pour les
entretenir : tous les 3-4 km, je croise une brigade de nettoyage des
bas-côtés, une brigade de plantage ou d’arrosage. Il faut bien repaysager un
peu les zones dévastées par la construction de routes, de ponts et de rocades.
Et ils n’y vont pas avec le dos de la baguette : grues, camions chargés
d’arbres, escouades composées de plusieurs douzaines de travailleurs de choc en
uniforme, armés de pelles, de balais et de masques anti-poussière.
Ça tombe bien,
justement, il faut créer des emplois ! L’exode rural, la soif de millions
de péquenots de s’intégrer à la grande famille du capitalisme urbain, le rêve
de pouvoir un jour, à force d’efforts surhumains, piloter une voiture
d’occasion que l’on pourra appeler d’un doux surnom… que voulez-vous, ces rêves
sont universellement partagés. Aussi ridicules nous semblent-ils à nous (qui
rêvons de piloter non pas une bagnole d’occasion, mais une berline allemande de
luxe), ces rêves sont le moteur de toute économie, qu’elle soit chinoise ou
d’un autre pays.
Reste que l’entretien
des routes est en Chine une source non négligeable d’emplois : mon
estimation scientifique au doigt mouillé donne 4,4 millions de km de routes,
divisés par 3 ou 4 km, multipliés par 10 à 20 personnes par brigade, soit entre
11 et 29 millions d’emplois !
Voyez comme la nature
est bien faite : il faut reforester des kilomètres et des kilomètres
carrés de terre remuée et retournée par les engins de chantier. Un travail qui
correspond idéalement aux qualifications de ces anciens paysans. Bon, les
esprits chagrins vont me dire qu’il vaudrait mieux en faire des comptables ou
des informaticiens… Eternel dilemme entre le réalisme et l’idéalisme. Vaut-il
mieux réussir une reconversion facile ou rater une reconversion trop ambitieuse ?
Les Chinois, sevrés de grandes expériences sociales et de folies pendant la Révolution
culturelle, choisissent une fois de plus la voie du pragmatisme.
Résultat : pas de chômage et des routes et autoroutes fleuries, des
bas-côtés boisés et des rocades luxuriantes.
Je me demandais pourquoi
on ne faisait pas pareil chez nous.
Vous allez me dire que
nos chômeurs ne vont pas se bousculer pour aller se faire des ampoules à manier
la pelle et la houe à longueur de journée ? Il semblerait que les problèmes
de notre pays sont un peu différents de ceux de l’Empire du milieu. Chez nous,
on parle moins de la nécessité de fleurir les autoroutes et plus de la
nécessité de lutter contre la fraude fiscale qui coûterait au pays entre 60 et 80
milliards par an. L’optimisation fiscale douteuse des multinationales se
monterait quant à elle à plus de 100 milliards ; mais elle est malaisée à
déjouer parce qu’elle requiert un gros travail d’analyse des comptes (les prix
de transfert, les interprétations tendancieuses du Code des impôts, etc). Voilà
une tâche colossale à laquelle on pourrait atteler nos bataillons de
chômeurs ! Une petite formation juridico-comptable-fiscale, un ordinateur,
et hop ! Qu’ils se rendent utiles à faire rentrer dans le budget ces
pépettes qui veulent sans cesse s’en échapper !
Enfin bon, le point de
vue chinois, on sait ce qu’il pèse en Europe …







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