Les sinologues parisiens
dénoncent à longueur de colonne la Chine à deux vitesses, celle des inégalités,
de la corruption et de l’injustice. La misère terrible de ces gens privés de
droit de vote. Qu’en est-il réellement ? Lee le sinologue de terrain a
enfourché son destrier tout neuf pour aller à la rencontre de la Chine d’en bas.
Rencontres du bord de la route et portraits de la Chine des bas-côtés.
Il y a comme ça des
villes et des pays auxquels la tragédie a ôté tout caractère.
J’interrogeais des
Tangshanais pour savoir quelles sont les choses immanquables, remarquables,
absolument impossibles à ne pas visiter ; mais ils se regardaient,
hésitaient, puis riaient : rien, absolument rien de remarquable à
Tangshan. Pas une Cité interdite, pas même une tour du Tambour, ni une tour de
la Cloche. La ville n’est pas laide : propre et moderne, elle s’enorgueillit
à juste titre de ses larges avenues, de ses tours de bureaux, de ses fantaisies
architecturales, de vastes parcs paysagés qui la font (malheureusement ou
heureusement ?) ressembler à toutes les villes du monde.
Si Tianjin est la
ville la plus européenne de Chine, Tangshan est la ville la plus chinoise. Non
pas qu’elle n’a pas d’histoire millénaire ni de spécialité marquante : simplement,
il n’en reste quasiment rien. Après la guerre Sino-japonaise, après la guerre civile,
après la Révolution culturelle, une
dernière calamité s’est abattue sur la ville et sur le pays : le
tremblement de terre 28 juillet 1976. 255 000 victimes, peut-être plus, probablement
en tout cas l’un des plus meurtriers de l’histoire.
Suivant la tradition
chinoise, les tremblements de terre annoncent le décès de l’empereur. Et la
tradition a été respectée cette fois encore, puisque Mao décédait cinq semaines plus tard, le 9 septembre 1976.
Alors quand on visite
Tangshan, le truc incontournable est le musée commémorant le Tremblement de
terre. Un grand parc qui regroupe quelques vestiges de la dévastation (des
bâtiments de béton tordus, penchés, détruits), une énorme sculpture qui
représente des gens s’échappant de sous d’immenses décombres, un panneau de
marbre d’un kilomètre de long couvert des noms des victimes gravés en tout
petit. Un musée commémoratif avec des photos et des schémas de la catastrophe.
Ce qu’on remarque
partout à Tangshan, ce sont des phénix (凤凰). La ville phénix ! Symbole transparent : la
ville renaît après les tragédies du XXème siècle, comme le pays dans son
ensemble.
Une des véloteuses a pu se
libérer du boulot pour l’après-midi et me propose de me guider vers les parcs
paysagés du centre-ville que nous parcourons à vélo.
Le parc s’appelle « Parc
du lac du Sud » (南湖公园).
Comme promis y a un lac assez vaste qui doit faire quatre ou cinq kilomètres de
diamètre, entouré de monticules encore en cours d’aménagement où s’activent des
jardiniers : ici on installe des parterres de fleurs, là on plante des
rangées de pins. Des chemins bétonnés bordés de saules serpentent le long de la
rive et invitent cyclistes et piétons à la promenade vers de petites pagodes
romantiques qui surmontent les collines.
Mon accompagnatrice me
guide de ci-de là tout en m’expliquant l’histoire encore récente de ce parc. A
tout moment je crois entendre dans son discours « la montagne de détritus »
(垃圾山) mais je mets cela sur le compte d’une mauvaise
interprétation de ma part. Pas trace de détritus par ici, au contraire des
poubelles et des panneaux à chaque détour de chemin invitent les visiteurs à se
débarrasser de leurs ordures de façon « civilisée ». Mais en arrivant
au sommet du monticule principal, qui s’agrémente d’une tour en bois à l’ancienne,
j’avise des panneaux explicatifs avec plans et vues d’artiste de la zone une
fois terminée… Figurez-vous qu’effectivement, on se trouve au sommet d’une
montagne d’ordures ! Ce parc magnifiquement aménagé est en fait l’ancien
dépotoir de la ville qui s’étendait sur des kilomètres.
On a empilé, compacté, consolidé
avec des piliers de béton, recouvert de terre, et puis finalement planté et
paysagé les millions de tonnes de détritus que produit la société de
consommation. La municipalité détaille et explique dans les moindres détails sa
façon de procéder, avec des photos avant/après et des cartes coloriées
indiquant la composition du sous-sol des différentes zones du parc.
Sous nos pieds dorment trois
décennies d’infatigable labeur des 7 millions de consommateurs de Tangshan…
Et moi je me demande :
comment font-ils dans les autres villes ? Pareil, probablement ? Comment faisons-nous chez nous ?
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